Ziarno : une façon différente de penser la campagne

18 décembre 2010 par Julia.

Ziarno (« Le grain ») est une ferme biologique qui se trouve à Grzybów, un des 18 hameaux de la commune de Słubice (5000 habitants), à 80 km à l’ouest de Varsovie. L’association est née officiellement en 1995, grâce au travail incessant de Ewa (originaire de Varsovie), de Peter (son compagnon originaire de Suisse et implanté en Pologne depuis une vingtaine d’années) et de tous leurs fidèles compagnons de route. Cette association est avant tout une ferme biologique : il y a deux chevaux, des vaches, quarante-cinq chèvres logées dans une étable avec vue sur le paysage couvert de neige et un four à pain biologique actif depuis dix-sept ans. Une fromagerie « dernier cri » est en vue de construction, avec un financement de l’Union Européenne. Les dix personnes, jeunes et moins jeunes, qui travaillent à la ferme et dans l’association proviennent de villages alentours. Certains sont à mi-temps, d’autres à temps plein, en stage ou encore volontaires. Peter et Ewa essayent de donner du travail et d’impliquer dans l’association et dans la ferme le plus de monde possible. Les moyens sont limités, mais leur énergie est inépuisable

Résumé : le taux de chômage de la région est très élevé, des usines agro-alimentaires fournissent des emplois, mais dans des conditions de travail décrites comme inhumaines. Dans le village voisin, tous les magasins sont encore gérés par la Coopérative Municipale du Secours Mutuel des Paysans dirigée par un ancien secrétaire du Parti Communiste qui la gère seul et sans partage. La ferme Ziarno embauche le plus de monde possible ; mais ses revenus dépendent des fluctuations des prix fixés par les marchés agricoles. L’entrée dans l’UE et l’accès aux subventions de la PAC a profondément dérégulé la paysannerie polonaise, au profit des plus gros exploitants agricoles. Au-delà des aspects économiques les problèmes sociaux sont nombreux, il y a une très grande inégalité entre villes et campagnes. L’association Ziarno tente d’y remédier, notamment en proposant une université d’été où se pratique l’éducation populaire.

Entre oscillation du marché et immobilisme d’antan « Ici, le taux de chômage est très élevé », m’explique Peter, « Les fermes ne suffisent pas à nourrir tout le monde. Beaucoup de gens vont chercher du boulot ailleurs. Pas loin d’ici, vers Terezin, il y a un énorme centre de distribution de la chaîne de supermarchés Tesco, et juste à coté une des usines de Masterfood (les producteurs des snacks au chocolat bien connus ainsi que de la nourriture pour chiens, ndr.). Une connaissance travaillait chez Tesco : comme qu’elle souffrait de vertiges, et que là-bas il y avait beaucoup d’escaliers en colimaçon, elle a juste demandé de changer de poste. En réponse, ils l’ont virée. Chez Masterfood aussi les conditions de travail sont inhumaines : tout le monde est contrôlé par des caméras, manger du chewing-gum est interdit parce que les employés pourraient également mâcher un bâton de chocolat. Pour les employeurs c’est une façon de contrôler que les gens ne volent pas au boulot… ».

Presque impossible de trouver du travail ou d’ouvrir une activité à Sanniki, le village voisin. Ici tous les magasins font encore partie de la Coopérative Municipale du Secours Mutuel des Paysans [1] , apparemment contrôlée par une seule personne, un ex-secrétaire de l’ancien Parti Communiste de la province de Płock qui est toujours au pouvoir et gère cet espèce de monopole. Conflit d’intérêts à la polonaise…

« C’est difficile de subvenir à ses besoins qu’avec notre ferme. On ne peut pas l’agrandir non plus avec ce qu’on gagne », raconte Malwina, âgée de vingt-cinq ans, qui s’occupe avec son frère d’une ferme de 6 ha. Elle est responsable à Ziarno des ateliers de boulangerie pour les enfants quelques jours par semaine. « On cultive des fraises : parfois les grossistes les achètent chères, 4 zloty (environ 1 euro) pour 2,5 kg par exemple, parfois ils nous payent 80 centimes (20 centimes d’euro) pour 2,5 kilos. L’année passée ils ne voulaient pas acheter le blé pour 15 zl, cette année il était à 70 zl ! C’est la loi du marché, quand un certain produit est présent en grande quantité, les prix baissent… » Rien de nouveau. Mais en Pologne, il n’existe pas de salaire minimum ni de limite concernant les horaires de travail agricole ; les oscillations du marché influencent donc beaucoup les salaires des travailleurs saisonniers, et par conséquent leur rythme de travail.

Le paradoxe est que dans certains cas la nourriture – écologique ou pas- est plus chère à la campagne qu’en ville. Malwina fait ses courses en ville, dans de grands supermarchés car tout est plus économique. Chaque agriculteur reçoit ici un financement direct de l’UE qui s’élève à environ 250 euros par ha par année. Ces financements changent en fonction de la taille de l’exploitation, de la qualité de la terre et du produit cultivé. Mais comment était-ce avant ? Avant l’entrée dans l’UE, avant les financements de la Politique Agricole Commune ? « On avait plus de tout et on vendait plus, sans problèmes », me répond Malwina. « Avec ce qu’on a gagné avec les fraises, on a pu construire notre maison, car tous les matériaux étaient moins chers, maintenant tu peux changer maximum cinq fenêtres pour la même somme ! Pour les petits agriculteurs les financements c’est juste le salut, on ne pourrait pas continuer sans ces aides maintenant, pour les grandes exploitations c’est des gros sous, tu peux acheter plein de machines, agrandir ton activité… »

Éducation populaire

L’association Ziarno organise une sorte d’université populaire à plusieurs reprises dans l’année, en fonction des financements reçus, de la saison et, bien entendu, des intérêts et des exigences des participants. Les contenus des formations sont décidés à l’avance au cours des assemblées ouvertes au public. Ainsi des formations à la biodiversité ont été organisées, comme des ateliers d’éducation à l’alimentation, à l’agriculture écologique, des cours d’informatique, et des ateliers de psychologie pour les femmes. Tout cela représente une grande opportunité pour les adultes des alentours qui n’auraient pas d’accès à la culture ou à des formations autrement. Mais la participation n’est pas toujours évidente : la structure familiale est ici parfois très traditionnelle et rigide, les femmes n’ont pas le temps pour ces activités car elles doivent s’occuper des enfants et de la maison. Les maris travaillent souvent à l’étranger (ils sont par exemple chauffeurs de camion) et parfois c’est eux mêmes qui ne laissent pas sortir les femmes. Les familles n’ont pas toujours un bon rapport avec l’école et l’éducation. En Pologne, le niveau scolaire dans les campagnes est beaucoup plus bas en terme des résultats qu’en ville. Cela s’explique par le fait que les enseignantes refusent souvent d’aller travailler dans des endroits reculés, et ceux qui enseignent à la campagne n’ont pas accès au même niveau de préparation qu’en ville.

Des crickets derrière le four à pain

Darek, 36 ans, s’occupe de le matin des animaux, il nourrit les chèvres, les vaches, les chevaux. À la ferme de Ziarno il a trouvé une sorte de paix, le contact avec la terre qu’il a longtemps cherché pendant ses péripéties en Europe. Depuis l’adolescence il a travaillé comme boulanger, mais à chaque fois il se disputait avec ses employeurs car il n’acceptait pas le fait d’utiliser des produits chimiques. Maintenant il cuit le pain deux fois par semaine, avec de la levure naturelle ; ensuite ce pain est transporté à Varsovie ou Płock, et vendu dans les magasins et marchés bio. Le coin à coté du four à pain est son endroit préféré, quand il cuit le pain la nuit il se met là derrière et il reste en silence : pendant l’hiver les crickets se réfugient ici, et la nuit, ils chantent.

Le téléphone d’Ewa n’arrête pas de sonner, elle s’occupe de mille choses à la fois. Souvent les gens s’adressent à l’association pour avoir une aide immédiate. Ça a été le cas pour les inondations de ce printemps qui ont endommagé de nombreuses maisons des villages limitrophes. Il a fallu trouver des financements car les aides publiques n’auraient pas été suffisantes pour reconstruire les habitations et aider les familles des paysans à reprendre leurs activités. Grâce à une importante collecte d’argent en collaboration avec les institutions locales et de nombreux volontaires, Ziarno les a aidés à semer, à acheter de la nourriture, à réparer ou même parfois à acheter une maison.

Ziarno est un très bon exemple de la façon dont une association peut être le moteur d’une vie culturelle et sociale dans un territoire rural, et peut ainsi proposer une façon différente de penser la campagne. Celle-ci devient alors une force en mouvement et un lieu de réflexion et de critique constructive. Personne ne se fait d’illusions, cela ne change pas la situation sociale ou économique de la région, mais au moins pour les habitants des alentours ce lieu représente un appui, un repère, où créer des liens, mais aussi un lieu d’apprentissage qui représente une source de nouvelles connaissances et d’outils critiques qui eux peuvent changer pas mal de choses.

Notes

[1] En polonais, Spółdzielnia Gminna Samopomoc Chlopska. Il s’agit d’un réseau des coopératives né après 1945 et géré par la République Socialiste Polonaise afin de contrôler la distribution de nourriture et de matière premières, comme le charbon.

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