Nicolas Duntze sur RFI pour évoquer l’exploitation des migrants dans l’agriculture

Samedi 19 avril  à 11h, la journaliste Anne-Cécile Bras recevait Nicolas Duntze dans son émission « C’est pas du vent » afin d’évoquer le scandale de la surexploitation des migrants, essentiellement ouvriers dans les exploitations agricoles.

Le sujet s’ouvre sur un reportage réalisé par Alice Milot au Sud de l’Espagne et la situation des travailleurs migrants de la région d’Almeria. Dans ses hectares de serres andalouses, le SOC (Sindicato de los Obreros del Campo – syndicat des ouvriers agricoles), joue un rôle central dans la médiation entre les travailleurs et les patrons pour améliorer les conditions de ces salariés, majoritairement étrangers. Le SOC se veut être la voix des sans voix, afin d’éveiller les consciences de ces travailleurs : « Leur apprendre à porter plainte et se sentir humain ». Souvent analphabètes, maintenus dans une peur quotidienne de perdre leur emploi, les travailleurs n’osent pas s’engager dans un combat syndicaliste. Et pourtant leurs conditions de vie et de travail sont déplorables : accident du travail dû au poids porté chaque jour, habitats indignes et payés presque une fortune, magouilles sur les cotisations, expulsion des familles… Face à cette situation, le SOC cherche à interpeller la Commission des droits de l’Homme de l’Union Européenne et revendique une conditionnalité sociale des aides agricoles (PAC) : « ce doit être l’Europe des Hommes, pas l’Europe des institutions ».

Alice Milot rencontre alors un marocain, arrivé à 17 ans par pirogue pour fuir la pauvreté : il évoque sa traversée, le paiement des passeurs, la découverte des saisons agricoles : « On ne nous considère pas comme des personnes mais comme une force de travail, ils font tout pour nous soumettre. ». Une autre saisonnière témoigne des difficultés pour les femmes, forcées à travailler même enceinte : « c’est ton corps ou tu dégages ». Aujourd’hui elle affirme que « c’est de la folie de venir ici en Europe, dans l’Eldorado qui n’existe pas… »

image serresEtendues de plastique : les serres d’El Ejido

Si de nombreux exploitants agricoles abusent de cette main d’œuvre, le SOC ne critique pas l’ensemble du monde agricole : il y a bien une distinction entre des managers de l’agro-industrie et des paysans socialement et écologiquement responsables. Alice nous présente un paysan espagnol qui raconte son parcours dans l’agriculture : son expérience d’ouvrier agricole en France, l’agriculture conventionnelle, le passage à la permaculture… Cet agriculteur « indigné » témoigne de l’injustice dans les aides : les grands producteurs locaux (la duchesse d’Alba ) « qui raflent toutes les subventions », la situation des travailleurs dans ces serres…

Retour dans les studios au Sud de la France, où Nicolas Duntze, paysan français militant à la Confédération Paysanne, afin d’évoquer les luttes pour défendre les droits des travailleurs.

« Je voulais juste faire une petite précision à la marge du reportage : on trouve une majorité de migrants qui viennent des pays du  Sud mais on trouve de plus en plus de populations roumaines et polonaises. Il faut savoir que le patronat là-bas joue très finement des concurrences entre ceux qui ont des papiers ceux qui n’en ont pas, ceux qui sont blancs ceux qui sont noirs etc… Ils jouent sur la concurrence entre les plus pauvres, ce qui crée une difficulté supplémentaire pour les syndicalistes : unifier le discours, casser le racisme ambiant utilisé pour casser les prix et faire de la pédagogie pour qu’une majorité se mette d’accord pour défendre leur droit.

Le deuxième élément de difficulté, c’est ce qu’on sous-entend par les « migrants saisonniers ». Quand ont dit « saison » : une saison traditionnelle (dans le Languedoc Roussillon du moins), c’est 2 mois de récolte de fraise, 3 semaines de vendanges : ce sont des périodes qui sont bornées. La à Almeria, c’est le rêve du capitaine d ‘entreprise d’avoir fait une saison du 1er janvier au 31 décembre parce qu’il y a du travail systématiquement via les apports techniques et la science. « Saisonniers » normalement ce sont des gens qui restent peu sur place, « migrants » ce sont aussi des gens qui ont vocation à rester peu sur place donc c’est une difficulté de plus pour a syndicalisation.

Troisième élément, pas le moindre, c’est qu’une grosse majorité de ces populations sont d’origine rurale : ils ont été ruinés par les politiques d’exportation des pays riches de l’Europe. Donc, beaucoup n’ont pas de tradition de luttes collectives, ils n’ont pas eu l‘occasion dans leur pays respectif de créer des outils de solidarité comme la coopération qu’on a créé ici en France à sa belle époque. »

drapeau confLa Confédération Paysanne mobilisée pour la défense des droits des travailleurs de la Terre

La journaliste se souvient des grèves (médiatisées) des migrants dans la culture des fraises en Grèce, en 2008, 2013, 2014 et fortement réprimées. Elle fait remarquer que parfois des mouvements s’organisent…

« Oui il y a des mouvements : en Grèce à Manolada on est sur des concentrations similaires à celles de Huelva c’est-à-dire une monoculture de la fraise, donc on est loin des 100 000 travailleurs (heureusement) mais il y en quand même une grosse concentration de milliers de travailleurs. Ce sont des gens qui se sont trouvés en but avec des descendants des colonels qui avaient le sil dans la voiture et qui tirait sur eux quand ils venaient réclame leur salaire. Donc là, il y a eu une nécessité vitale qui leur a fait comprendre qu’il valait mieux être plusieurs face à un fusil de tout seul. Il y a des procès à l’heure actuelle qui, il faut le savoir, malheureusement, ont donné raison aux patrons ».

La journaliste se questionne : Comment est-ce possible que la législation européenne permette cette exploitation des travailleurs : est-ce-que c’est la politique de l’autruche ou alors les gens n’en sont pas conscient ?

« Tous les législateurs le savent, en sont plus ou moins conscients ; les consommateurs non ou font semblant de ne pas le savoir. Eux tout ce qui les intéresse c’est de na pas s’empoisonner avec les pesticides et les désherbants, avoir une nourriture saine mais ils n’ont pas encore embrayé d’acte de solidarité envers ces populations sur l’aspect social. On ne se pose jamais la question : combien de goutte de sang, de sueur, de malheur sont derrière cette tomate ou cette carotte ? ».

La journaliste questionne ensuite Nicolas Duntze sur le principe de conditionnalité sociale des aides agricoles européennes, revendication portée par la Confédération Paysanne.

« On pense qu’il y a trois principes qu’il faudrait arriver à remettre au cœur des discussions avec le législateur :

  • Il faudrait arriver à stopper cette guerre qui a été déclenchée contre les agricultures paysannes de la Roumanie, de la France, du Sénégal de partout… C’est sûr qu’à l’heure actuelle, l’agriculture paysanne n’a pas les moyens de gagner et nous allons tous nous faire laminer. 
  • Deuxième concept qu’on a mis en avant depuis quelque temps c’est celui de souveraineté alimentaire sur lequel les législateurs devraient travailler tant à l’UE qu’à l’ONU. C’est le principe de dire que chaque peuple a le droit de définir la façon dont il veut se nourrir. Ca veut dire défendre ses populations paysannes et empêcher, par exemple, certains états de brader des milliers et milliers d’hectares à des fonds de pensions d’autre états et d’exproprier systématiquement tous les petits paysans qui n’ont pas les protections qu’on peut avoir en Europe comme le droit de fermage etc.
  • Troisième élément sur lequel on insiste beaucoup en ce moment c’est la conditionnalité sociale des aides : la PAC aide et soutient financièrement et techniquement un certain type de production industrielle. Nous, on dit simplement que tout doit être respecté dans l’agriculture, que le droit au revenu des petits paysans et le droit du travail pour ceux qui travaillent la terre soient respectés. Et si ces droits là ne sont pas respectés, qu’ils soient migrants ou autochtones c’est-à-dire que si on n’est pas payé ce qu’il faut, si on n’a pas le logement, si on a pas le droit à l’école, au regroupement familial, aux papiers et bien ces exploitations-là , qu’elles soient personnelles, coopérative, d’état ou multinationales : elles ne doivent plus recevoir d’aides de la PAC. »

Vous pouvez retrouver l’émission, réalisé par François Porcheron, en cliquant ici => http://www.rfi.fr/emission/20160618-2-andalousie-fruits-legumes-rentabilite-economique-conditions-miserables

Share