Par Ismini.
Résumé : Dans la municipalité d’Andravida-Killini, en 2014, c’est un citoyen Grec d’origine Syrienne qui a été élu maire. Le fait qu’il soit immigré n’a pas empêché son élection alors que l’Aube Dorée, parti fasciste d’ extrême-droite est devenu le troisième parti politique du pays. Tous les migrants ne connaissent pas ce destin à Andravida-Killini, dans cette commune se trouvent en effets les exploitations de fraises de Manolada. Là des centaines de travailleurs migrants subissent la violence des chefs d’exploitations, des salaires insuffisants voire inexistants et des conditions de vie sordides. Deux grèves des travailleurs (une en 2008 et l’autre en 2013) ont été réprimées dans une extrême violence (coups de feu contre les manifestants) et ont donné lieu à des agressions racistes. Les auteurs des violences s’en sont sortis avec des peines très légères voire pas de condamnations du tout.
La crise grecque a occasionné de profondes mutations dans la vie politique, qui sont analysées ici.
En parallèle des élections européennes, les 18 et 25 mai 2014, ont eu lieu en Grèce les deux tours des élections régionales et municipales. C’était la première fois que trois élections différentes avaient lieu en même temps. Le vote supranational des électeurs aux élections européennes en Grèce et le vote d’intérêt local aux élections municipales, indiquent des tendances surprenantes, mais pas inexplicables, si on essaye de mieux comprendre les nouvelles conditions sociales établies par une crise généralisée.
Les élections municipales ont exprimé la défiance envers les pouvoirs politiques existants et une relocalisation de la participation politique. Plusieurs candidats ont présenté leurs candidatures indépendamment des partis politiques établis, alors qu’il y en a encore quelques années ils/elles représentaient ces mêmes partis. Ces candidats « indépendants » ont gagné les élections dans plusieurs municipalités.
Un cas de candidat indépendant est celui de M. Nabil-Iosif MORAND qui a été élu maire de la municipalité Andravida-Killini, située à l’ouest de la Grèce, le dimanche 25 mai 2014.
- Morand a 52 ans, il est médecin et vit depuis vingt-trois ans avec sa famille à Lehena, la capitale de la municipalité. Jusqu’ici rien d’étrange… sauf son origine étrangère.
- Morand est citoyen grec d’origine syrienne et il est le premier élu d’origine étrangère en Grèce. Ce nouveau maire « immigré » est une surprise pour la société nationale, mais pas pour la société locale qui le connaît depuis longtemps pour sa participation active à la vie politique et sociale de la communauté. Ainsi, pour les habitants de cette ville, M. Morand est le citoyen actif qu’ils connaissent et en lequel ils ont confiance. Les paroles d’un de ses collègues, «Nous, nous ne le considérons pas comme un immigré…», dénotent que son histoire est un cas d’intégration absolue dans la société locale.
Parlons de la municipalité d’Andravida-Killini, au nord-ouest du Péloponnèse, qui compte 21.581 habitants, et bénéficie d’une riche activité de pêche et de production agricole. C’est là que se trouve Nea Manolada, où existe une vaste culture de fraises et d’autres produits agricoles qui ont fait de la région une grande puissance rurale pour les marchés internationaux. Derrière ce succès, cependant, il y a toute une histoire. Celle des travailleurs migrants saisonniers qui y travaillent dans des pires conditions.
En avril 2008, des travailleurs migrants saisonniers venant des Balkans et d’Asie ont commencé une grève en revendiquant l’augmentation des salaires au niveau minimum légal d’un ouvrier non qualifié et l’amélioration des conditions de travail et de vie. Les producteurs de fraises aidés de leurs contremaîtres ont battu ceux qui avaient participé à la grève et, au hasard, des immigrés vivant dans le village. La réponse violente à cette grève de la part des producteurs a été condamnée par la presse et l’opinion publique.
En avril 2013, quelque deux cents travailleurs migrants sans-papiers du Bangladesh travaillant dans la culture des fraises se sont réunis dans la ville de Nea Manolada, devant les bureaux de la société agricole, afin de réclamer leurs arriérés d’environ six mois de salaire. Peu de temps après, des surveillants de la ferme ont commencé à leur tirer dessus, blessant trente-cinq personnes. Les surveillants de la ferme, qui sont des hommes de main des patrons et qui ont tiré sur les travailleurs saisonniers sans-papiers, ont été arrêtés. Un procès a été ouvert et s’est soldé par un verdict honteux avec relaxe pour le propriétaire de l’exploitation et des peines de prison révocables pour les contremaîtres.
Ces faits ont dévoilé toute une série de graves violations effectuées vis-à-vis des travailleurs migrants saisonniers. La presse s’est focalisée sur les conditions de vie sordides et l’exploitation des travailleurs immigrés du Bangladesh dans les champs de fraises. Il est clair qu’il y règne une loi arbitraire imposée par les grands propriétaires de la culture de la fraise, en collaboration avec des groupes locaux de « sbires ». D’une telle mesure qu’on pourrait parler d’État dans l’État, un État d’intimidation, de violence et de terrorisme. Les violations des droits qui ont cours dans cette région ont été dénoncés au niveau national et international. Dans ces conditions, comment un maire d’origine étrangère a-t-il pu être élu dans cette région ?
Une hypothèse serait qu’il s’agit d’une société locale choquée par ce qui se passe et qui cherche à se différencier de ces événements atroces. Le nouveau maire a parlé de la question de Manolada : « ce n’est pas juste pour les citoyens de Manolada, les citoyens républicains, parce que ce qui s’est passé sont des actes isolés qui ne reflètent pas la totalité de la société » et il a déjà mentionné des initiatives qu’il entend prendre pour améliorer les conditions de vie d’un grand nombre de travailleurs saisonniers migrants régularisés dans les cultures de fraises. Il a déclaré : « nous allons essayer d’améliorer la situation parce que l’État est absent, nous n’avons pas d’aide. C’est pourquoi la municipalité devrait prendre des initiatives ».
La deuxième hypothèse, serait que la réputation du maire de médecin honnête qui a mené une carrière politique au niveau local soutenue depuis longtemps par le parti politique PASOK1, prédomine sur la notion d’ « immigré » et tous les stéréotypes préconçues qui y sont rattachés, notamment celui/celle des étrangers travaillant dans les champs de fraises dans la précarité la plus totale. Le statut socio-économique, donc, et non pas l’origine, est le facteur déterminant de la place de la personne dans la société. Le Maire fait partie de la société locale bourgeoise et il est élu afin de représenter ses propres intérêts.De ce point de vue, l’image d’une société ouverte et progressiste dépeinte par la presse au moment de son élection s’effondre.
D’autant plus, si l’on examine les résultats des élections européennes dans le département administratif de Nea Manolada, on voit que l’Aube Dorée2 a vu ses voix augmenter jusqu’à arriver troisième, après Syriza3 et Nea Dimocratia4. Les résultats aux élections européennes dans ce département administratif illustrent bien les résultats au niveau national.
Le déclin électoral des partis politiques traditionnels au pouvoir est nouveau dans l’histoire électorale du pays. L’usure et la dévalorisation de deux partis bourgeois, Nea Dimocratia et PASOK aux élections européennes, ainsi qu’aux municipales montrent que les grands partis politiques ont perdu le soutien de la classe moyenne. En cause la destruction sociale et économique de la classe moyenne et de l’incapacité croissante de ces partis de servir leur électorat, à cause de la crise économique. Cependant, ce désaveu électoral ne s’est pas exprimé lors des élections régionales. Là, les candidats de Nea Dimocratia et des candidats indépendants prennent le pas, sauf la région d’Athènes, la plus touchée par la crise, ou la candidate de Syriza gagne les élections. Le PASOK est le grand perdant des ces élections. On pourrait croire que même si la société ne fait plus confiance aux partis traditionnels pour défendre ses intérêts au niveau européen, au final ils restent majoritaires car, ils restent crédibles dans la gestion des affaires à cet échelon intermédiaire (régional).
La validation de la montée électorale de l’Aube Dorée est actuellement un élément clé du système politique grec. Les deux dernières années, ces taux ont considérablement augmenté. L’Aube Dorée est devenu le troisième parti aux élections européennes en Grèce, avec trois députés élus au Parlement Européen alors qu’il n’avait pas un seul élu en 2009. Son discours fasciste vient s’enrichir de l’image fausse5 d’un parti contre le système établi par les partis traditionnels, système qui a conduit à la crise. Ses votes, donc, ne viennent pas que de l’extrême droite mais aussi des conservateurs déçus du système politique actuel.
Parallèlement, la victoire aux élections européennes d’un parti de gauche, Syriza, avec six députés dans le Parlement Européen, est particulière pour le système politique grec ainsi qu’européen. Jusqu’aux élections nationales de 2012, Syriza était le parti minoritaire au Parlement. Pendant cette période courte de deux ans, Syriza devient la voix politique principale qui exprime l’opposition d’une partie considérable de la société grecque aux politiques d’austérité imposées par la Troïka et la gestion de la dette par les politiciens grecs. Syriza est vu comme une promesse d’arrêt de leur misère progressive. Leur slogan : « on vote le 25, ils partent le 26 », a permis de gagner des votes dans l’espoir de changer le monde ancien. Il est intéressent de noter que ceux qui ont voté pour Syriza ne s’identifient pas nécessairement à ses positions idéologiques et politiques. Une partie de la population voyant le déclin des vieux partis, notamment de PASOK et cherchant à ménager la chèvre et le chou, vote pour Syriza, en espérant maintenir leur statut privilégié des jours anciens.
La crise fiscale a démarré en 2008 et a été très vite suivie par une flambée du chômage, de la pauvreté et par l’effondrement de l’État Social. Toutes les faiblesses de la démocratie grecque sont ressorties et le système politique traditionnel est incapable de répondre aux demandes de l’électorat. Les exigences de l’Union européenne ont empiré la situation répondant à la logique du capitalisme néolibéral qui teste les limites de l’endurance sociale.
Cette crise économique majeure s’étend à tous les niveaux du système politique, économique et social établi. C’est une crise qui va bien au-delà de l’économie faisant la survie de beaucoup de gens vraiment incertaine. Par conséquent, d’un côté, se développent l’extrême droite et le repli de la société dans un contexte national dans des conditions considérées par la population locale comme une menace : la perte de la souveraineté nationale au profit de la bureaucratie de Bruxelles, l’augmentation du chômage, et une immigration croissante. La crise et la peur de la pauvreté ont développé le racisme, la violence, la rupture de l’ordre constitutionnel et la dévalorisation de la démocratie. De l’autre côté, une partie de la société se radicalise et rejoint les partis de la gauche en revendiquant la sortie de la crise, l’habilitation de la démocratie, la réhabilitation de l’ État social et le soutien politique des couches sociales affaiblies.
Cette période électorale, qui possédait un intérêt européen ainsi que national et régional, nous permet de mettre en lumière les questionnements d’une société qui cherche la sortie d’une crise profonde et cruelle à tous les niveaux, et de réfléchir sur les juxtapositions entre le local, le national et le global.
Ismini Karydopoulou
1 PASOK (Mouvement Panhellenic Socialiste) : le parti « socialiste » au pouvoir pendant 20 ans.
2 Le parti fasciste d’extrême droite.
3 Syriza (Coalition de la Gauche Radicale): le parti de gauche.
4 Nea Dimocratia (Nouvelle Démocratie) : le parti de droite conservatrice qui actuellement est pouvoir avec PASOK.
5 Avant les élections le discours du parti était largement anti-systémique et les candidats parlaient d’un attaque direct contre tous ceux qui ont participé aux processus d’appauvrissement de la société grecque : les politiciens, l’Union Européenne, les entrepreneurs. Après les élections la société grecque témoigne le support du parti au système politique et le capital économique grec établi.