Les coopératives féminines essaiment dans les campagnes

Résumé :

Le système de coopérative féminine permet de générer un revenu dans un contexte où l’industrie agroalimentaire a tiré vers le bas les revenus du travail agricole. De plus le fonctionnement solidaire et démocratique des coopératives constitue une possibilité de s’extraire temporairement de l’organisation patriarcale. Mais les hommes restent souvent les interlocuteurs privilégiés des ONG et des organismes de développement. La mise sur le marché de la production pose problème, les femmes sont souvent retirées du système éducatif précocement et maîtrisent mal les mécanismes du capitalisme auquel elles sont confrontées.

De nombreux financements existent pour financer les coopératives mais le système, encore jeune, doit s’améliorer.

 

Par Mélanie Roué

Né il y a trente ans, le concept de coopérative féminine propose une solution à l’enclavement des femmes au Maroc, surtout en milieu rural. Connues par la vente « éthique » de produits à base d’huile d’argan, ces coopératives se sont multipliées malgré leurs limites.

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Au Maroc, l’idée des coopératives féminines ne vient pas de la volonté d’émanciper les femmes des campagnes, mais d’une réponse aux problèmes de surexploitation par l’homme de l’arganier, richesse naturelle du Sud du pays. Au début des années 1990, la société de coopération allemande GTZ tire la sonnette d’alarme face à la diminution significative du parc d’arganier. Naît alors la solution de la coopérative : pour préserver l’arbre, il faut faire participer les femmes. Première étape : leur faire prendre conscience de la richesse de ce patrimoine. La valorisation de l’argan et des pratiques ancestrales est mise en avant. Depuis, les coopératives féminines se sont multipliées, surtout dans  l’agriculture et l’artisanat.

Les coopératives permettent aux femmes de jouir d’une activité génératrice de revenu. Ce n’est pas rien dans un pays le salaire minimum est de 63 dirhams par jour, soit 5,40 euros, dans une industrie agroalimentaire aux conditions de travail souvent scandaleuses. Elles permettent aussi de se responsabiliser,  de se former et surtout d’avoir une voix. La gestion de la coopérative se fait dans un esprit d’équité et donne à chacune une voix décisionnelle. La contribution de base demandée st la même pour toutes et la répartition des bénéfices générés par leur activité est sensée être réalisée de façon équitable et transparente. En outre, les coopératives permettent aux femmes d’échapper un temps soit peu à l’organisation patriarcale dans laquelle elles évoluent, pour s’épanouir dans l’exercice d’une activité rémunérée et solidaire.

Toutefois, les hommes sont encore souvent les interlocuteurs privilégiés des organismes de développement ou des ONG. De part leur statut au sein de leur communauté ou simplement parce qu’ils sont instruits et libres dans leurs déplacements, ils sont souvent impliqués dans le processus de création du projet, étant fréquemment la seule source d’information pour les adhérentes, nombreuses à être encore analphabètes.

Se pose aussi (et ainsi)  le problème de la commercialisation de leur production. Comment vendre à un tarif intéressant quand on ne connaît pas les règles du marché ? « C’est le plus gros problème que rencontre les coopératives de femmes », indique Fatine, la directrice de la coopérative d’Izourane, dans la région du Souss Massa Drâa. Spécialisée dans la production d’huile d’argan, sa coopérative a décidé de diversifier son offre début 2013 en y ajoutant de la semoule de couscous. Car avec une faible capacité de production,  il est difficile d’écouler un stock lorsque « le marché est saturé, et les prix très compétitifs ». Ayant un temps considéré de vendre leur production à travers un groupement d’intérêt économique (GIE), elles ont finalement abandonné l’idée – le processus de vente étant long et souvent bloqué par d’autres adhérents. Le problème prend donc racine dès le stade de la conception des projets. Et bien que des formations soient organisées par les organismes de financement pour les directrices de coopératives, les moyens mis en œuvre ne suffisent pas à rééquilibrer la balance.

Enfin, il y a un manque de confiance entre les coopératrices et le monde extérieur. Elles ont été très vite retirées du système éducatif et sortent peu du douar où elles résident.  On observe donc un fossé entre la vie que ces femmes mènent et celle à laquelle elles sont confrontées lorsqu’il s’agit de vendre leur production et de côtoyer un système capitaliste qui leurs est complètement inconnu.

Monter un projet de coopérative est donc possible, notamment grâce à l’existence de nombreux organismes de financement. Faire durer l’aventure est plus compliqué. Pour autant, il faut rappeler que le modèle est jeune, démocratisé il y a seulement une vingtaine d’années. Il verra sans doute de nouvelles améliorations apportées aux prochaines générations, notamment au niveau de leurs potentiels en matière de communication et de distribution.

Mélanie Roué

Une huile de grande valeur

L’arganier est un arbre épineux adapté à l’aridité du sud-ouest marocain Son bois est utilisé pour le chauffage. Les feuilles sont mangées par les chèvres Du noyau de ses fruits, on tire l’huile d’argane aux vertus alimentaires et cosmétiques connues localement depuis longtemps. L’huile d’argane fait l’objet d’une Indication géographique protégée depuis 2010. Elle bénéficie d’une grande attention  pour prévenir le risque cardiovasculaire.

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NB : Depuis fin avril, Mélanie Roué – comme Julie Rouan (p.15) et Héloïse Claudon (p.12) – travaille dans le cadre d’un partenariat entre la Confédération paysanne et l’association Echanges et Partenariats sur la question des travailleurs agricoles saisonniers migrants (respectivement au Maroc, en Italie et en Allemagne). Nous publierons le mois prochain un article sur la mission en cours dans ce cadre en Palestine. http://ep.reseau-ipam.org/

Photo : Femmes d’une coopérative de production d’huile d’argan

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