Le racisme peut-il être discret ?

Par Marie.

Résumé : Dans le Piémont le racisme envers les saisonniers étrangers semble être de mise. Les tâches sont confiées en fonction de critères ethniques et les étrangers sont souvent tenus à l’écart par leurs collègues italiens. Même si certains y voient là un racisme « discret » les violences de Rosarno rappellent quelles sont les conséquences de la généralisation de tels discours.

Il y a quelques jours, j’ai interviewé un homme d’origine Burkinabé, représentant du syndicat ouvrier italien de la CGIL à Cuneo. Ensemble, nous avons abordé la question du racisme. Il a répondu dans un premier temps, qu’il n’avait jamais connu de comportements racistes à son encontre depuis 18 ans. Mais il a ajouté par la suite qu’il parlerait plutôt de racisme discret. Racisme discret ? Comment le racisme peut-il être discret ?

« Je veux dire que les gens sont indifférents, tu es là tu travailles comme tout le monde, on discute on se charrie : on me traite de sale nègre et je réponds sale rital, mais après on en reste là les rapports restent superficiels. Cela fait 12 ans que je travaille pour la même boîte et il ne m’a jamais été proposé de boire un verre après le boulot. ».

Ici dans la campagne Piémontaise, il n’est pas si facile de croiser des migrants et leur présence est rendue encore plus invisible par l’hiver. Leur vie sociale semble se limiter au parcours entre le lieu de travail et la maison. Pour les rencontrer, il est nécessaire de partir à leur recherche. Un après midi, alors que je cherchais à rencontrer des ouvriers agricoles dans les plantations de Kiwis, j’ai rencontré par hasard deux hommes perchés sur leurs machines, qui taillaient ces arbres. L’un italien, l’autre chinois. L’Italien ne m’a pas laissé parler avec le Chinois, prétextant son ignorance de la langue italienne. Durant notre courte conversation, il l’appelait le « jaune », et a ajouté qu’il y avait « beaucoup de jaunes » qui travaillaient dans la région.

Quelques jours après, lors du rassemblement antiraciste du 23 janvier à Turin, j’ai pu recueillir quelques témoignages à propos du racisme auprès de certains participants. Parmi ces témoignages, l’un faisait état d’une situation particulièrement préoccupante. Cet interlocuteur disait observer depuis quelques temps que « les gens ne cachaient même plus leurs ressentiments envers les étrangers » ; « Il y a un racisme ordinaire, « dangereux » qui est même parfois utilisé comme une revendication, « une fierté ». Il a ajouté que, malgré le pouvoir économique de l’immigration en Italie, cette part de la population n’avait aucun pouvoir politique ni social : « on te nie ». “Ici on a totalement ethnicisé les secteurs de travail : si tu veux être maçon, domestique, ouvrier agricole tu as de la place, mais tu ne dois surtout pas te mettre en concurrence avec des Italiens dans d’autres secteurs ». Ainsi, la gestion de l’immigration en Italie fait clairement apparaître une division sociale du travail qui s’appuie sur l’ethnicisation des tâches et de la main d’œuvre pour rationaliser l’exploitation et la hiérarchisation des rapports sociaux.

Et à regarder de plus près, les anecdotes de cet acabit ne sont pas singulières…Récemment dans la Repubblica figurait un petit article qui relatait un fait-divers : un commerçant à fait parler de lui suite à l’affichage d’un écriteau stipulant « Entrée interdite aux chinois qui ne parlent pas italien ». Quelques mois plus tôt, c’était le “Noël blanc” organisé par un maire de la Ligue du Nord, qui défrayait la chronique. L’opération visait à recenser les étrangers de Coccaglio (3.000 habitants) et à dénoncer les sans papiers en préfecture.

À cela, on peut ajouter les évènements de Rosarno, sorte d’apogée, au cours desquels on a pu constater un exemple de mise en forme du discours raciste ambiant.

Cette énumération d’observations et de faits démontre qu’il n’existe pas un type unique d’acte raciste. L’acte raciste semble se situer sur des registres différents, il mobilise des rapports sociaux divers et répond à une multiplicité d’intentions et d’intérêts. Au-delà des préjugés ordinaires et des actions racistes qui décident de l’infériorisation d’une partie de la population, c’est un véritable système auquel participent les institutions qui perpétuent et ethnicisent les rapports au sein de la société tout en légitimant la discrimination et le racisme comme pratique sociale. Le rythme des manifestations de racismes qui se succèdent est conditionné par ces lois et témoigne d’une certaine détérioration de la situation. Et cette tendance n’est malheureusement pas récente.

Peut-on parler de racisme discret ? Selon moi, le racisme peut-être discret dans la mesure où il est bien ancré dans certaines mentalités. Après deux mois passés ici, il m’a surtout semblé que le racisme se banalise au point d’être omniprésent dans les rapports sociaux et les débats politiques.

Share