Le militantisme syndical, une nécéssité pour les ouvriers agricoles marocains

Le secteur agricole fait aujourd’hui vivre près de 20% de la population rurale de la région du Souss Massa Drâ. L’arrivée de nombreuses sociétés marocaines et étrangères dans la région ayant fortement accrue l’offre en matière d’emploi agricole – la lutte syndicale est devenue une nécessité afin d’encadrer et de faire respecter le code du travail. Focus sur un des nombreux conflits sociaux ayant pris place dans cette région.

La lutte des syndicats marocains pour faire appliquer la loi

Jamila et Aicha, ouvrières agricoles, travaillaient depuis 2 ans pour le compte d’une société américaine ayant investi dans le sud du Maroc. Au moment où je fais leur connaissance, elles viennent d’être licenciées par leur employeur, comme 23 autres ouvriers-ères. La raison avancée : avoir refusé de signer le  CDD de 2 mois que la société voulait leur imposer. En effet, signer ce contrat signifiait perdre leurs 2 années d’ancienneté leurs garantissant certains droits comme la pérennisation de l’emploi et la prime d’ancienneté – un budget indésirable pour la société.

Suite à ce licenciement abusif, les ouvriers s’organisent et décident alors de constituer un bureau syndical afin de défendre leurs droits et de retrouver leurs places dans l’exploitation. Le syndicat prend alors le relais et constitue avec leurs participations une liste de droits dits réglementaires mais non respectés par la société américaine. Cette liste est malheureusement longue et similaire à d’autres cas dans la région. On peut noter :

  • L’absence de contrat,
  • L’absence de déclaration auprès de la CNSS, la Caisse National de la Sécurité Sociale,
  • L’absence de bulletins de paie et de cartes de travail, pourtant obligation,
  • Pas de jour de repos,
  • Transport des employés en pick-up,
  • Traitements phytosanitaires réalisés en présence des ouvriers, ne bénéficiant pas de tenues de protection…

2013_OuvriersPickUpMaroc

La liste ne s’arrête pas là, mais ces quelques lignes suffisent à illustrer la précarité des ouvriers agricoles et l’importance des syndicats, dont la tâche n’est pas de réclamer plus d’avantages, mais bien de faire appliquer le code du travail marocain. D’autres acteurs du système comme les inspecteurs et les médecins du travail sont pourtant présents afin de veiller au respect de la loi, mais leur nombre étant restreint  et les exploitations nombreuses ; leur marge de manœuvre reste limitée.

La résistance prend alors place, et plusieurs sit-ins sont organisés dans différentes localités afin de soutenir ces ouvriers dans leurs revendications, que compte le retour au travail et l’amélioration de leurs conditions sociales. L’affaire ne prendra fin qu’après quelques semaines de lutte et l’acceptation d’une des propositions de plan de licenciement par la direction de la société américaine. Les ouvriers auront donc obtenus gain de cause, mais le retour au travail au sein de cette exploitation n’est plus en question. Ce n’est donc qu’une semi – victoire comme me disent les ouvrières.

Pour faire face à de tels abus, de plus en plus bureaux syndicaux voient le jour, et permettent ainsi de former et d’informer les ouvriers sur leurs droits et devoirs. Cette tâche est d’autant plus importante que près de 50 % de la population est analphabète dans cette région et que le degré d’éducation dépasse rarement le secondaire. Certains de ces ouvriers n’avaient même jamais entendu parler du code du travail avant d’être sensibilisé par des pairs.

2013_ManifestationOuvriersMaroc

Intimidations et complicité entre patronat et autorité locale

Ce conflit social est aussi une bonne illustration des intimidations et arrangements entre le patronat et les autorités locales.

Intimidation, car après un premier licenciement, le patronat revient sur sa décision et réintègrent ces ouvriers aux activités de la ferme. Cependant, les tâches qu’on leur incombe sont associés à des travaux forcés et sous payés. Le lendemain, les ouvriers trouvent porte close à leur arrivée au travail : soit ils signent le contrat faisant déjà l’objet du conflit social, ou soient ils cherchent du travail ailleurs…

Quant à la complicité entre le patronat et les autorités locales, Aicha et Jamila en ont été témoins, si ce n’est victimes. Pour régler ce conflit rapidement, la direction de l’exploitation a fait appel aux autorités locales et à l’intervention de la gendarmerie afin d’intimider les ouvriers et les pousser à signer le contrat en question. Viennent les menaces et les agressions physiques, et enfin les arrestations, ici encore abusives et non justifiées. Les ouvriers ne seront relâchés qu’après l’intervention de l’AMDH (Association Marocaine des Droits de l’Homme) et du syndicat agricole. Ainsi, installer un climat de peur est malheureusement une technique souvent utilisée pour faire taire les revendications des ouvriers.

La résolution des conflits sociaux : une communication parfois difficile

La résolution des conflits sociaux peuvent  être laborieuses en raison des difficultés à communiquer avec les sociétés. Leur taille, leur localisation, la barrière linguistique et culturelle… La communication entre le syndicat et les décisionnaires passe parfois par plusieurs interlocuteurs, et rend les négociations plus longues et difficiles. Outre la communication, il y a aussi les promesses de changements, qui s’estompent rapidement. Par ailleurs, le patronat a tendance à associer directement le salarié aux coûts de production – qui doit être réduit au maximum. Dans ces conditions, des pourparlers sont difficiles et poussent souvent les ouvriers à mener des grèves ou à arrêter l’activité de l’exploitation en signe de contestation. Cependant, ces actions se font rarement sur le temps de travail, et prennent place durant le jour de repos hebdomadaire.

Il y a aussi le manque de confiance entre patronat et partenaires sociaux. En effet, suite à cette affaire, Lahcen – qui  est un membre actif du syndicat agricole – me dit être « heureux mais en colère…Les filles ont eux leurs indemnités de licenciement, mais elles ont perdu leurs emplois, et c’était pourtant notre principale revendication. Mais avec certaines sociétés, on ne peut pas travailler correctement ».  Ces propos sous-entendent que certaines entreprises se refusent à voir l’intérêt d’un bureau syndical dans leur structure, qui reste pourtant un partenaire clé leur permettant de mieux comprendre, gérer et anticiper les conflits sociaux survenant dans leur enceinte.

L’action syndicale est donc indispensable dans cette région, représentant 44% des exportations agricoles total du royaume. D’une part, les bureaux syndicaux forment et sensibilisent les ouvriers à leurs conditions, et d’autres part, luttent pour des acquis sociaux et économiques qui favoriseront un développement social et humain durable.

Les prénoms des personnes citées dans cet article ont été modifiés.

Share