Par Charlotte.
Appiah et Filipo sont deux amis, engagés dans une forme de lutte différente de celle des syndicats, des associations, des avocats. Tous les deux vivent à Castel Volturno, tous les deux n’y sont pas nés. Appiah est ghanéen, Filipo italien. Tous les deux croient que seule la mobilisation des personnes concernées peut faire bouger les lignes. Depuis deux ans, ils participent à une assemblée hebdomadaire réunissant italiens et africains, l’assemblée Black&White. Et depuis quelques mois, ils se sont lancés dans la mobilisation des travailleurs africains de Castel Volturno, sur le modèle de l’ALAR, l’Assemblée des Travailleurs Africains de Rome.
Devenir acteur de son destin
Nous sommes en retard, on avale un café et direction la Casa del Bambino, un jardin d’enfant multiethnique (il y a déjà une très jeune deuxième génération d’africains à Castel Volturno). C’est ici que chaque dimanche se réunissent les participants à l’Assemblée des Travailleurs Africains de Castel Volturno, décidés à prendre leur destin en main. Fini de faire le client au syndicat ou à l’association d’aide aux immigrés, ces hommes là veulent être les acteurs de leur destin, décider de leurs luttes, de leurs mots d’ordre et de leurs temps d’actions. Pour Appiah, « Il ne faut pas seulement quémander, il faut connaitre ses droits. On veut éliminer l’idée des gens que l’on est un autre groupe pour collecter des photocopies, on ne doit dépendre que de nous même. Sinon tu es toujours manipulé. Beaucoup de personnes ne savent qu’aller chez l’avocat, chez les associations, à la CGIL… Ils pensent que sans eux ils ne peuvent rien faire. Mais si tu sais comment avancer et te battre pour toi-même alors tu ne dépend de personne et tu peux aller de l’avant dans ta vie ».
L’Assemblée commence. Pour lutter ensemble il faut d’abor être ensemble et apprendre à se connaitre. Chacun se lève donc à tour de rôle, décline son nom et sa nationalité : « I’m Appiah, from Ghana, I’m living in Castelvolturno » ; « I’m John from Ghana » ; « Moi m’appelle Pascal je suis Congolais j’habite à Napoli » ; « Michel, République du Bénin » ; « Marti, république du Bénin »
Cette assemblée s’inspire de l’expérience de l’Assemblée des Travailleurs Africains de Rome (ALAR) : ces africains qui avaient fui les violences de Rosarno en janvier dernier [1]. A Rome, depuis un an, ces travailleurs se réunissent chaque dimanche dans le centre social de la SNIA. John est venu de Rome partager avec ses frères de Castel Volturno cette expérience : « Jusqu’au aujourd’hui on se retrouve et on discute autour de trois points : permis de séjour, travail, et nos conditions de vie. On se retrouve pour partager nos expériences et on chemine en ce sens. On est arrivée à une fin heureuse avec les permis de séjour. [Ils ont ainsi obtenus la délivrance d’une centaine de permis de séjour.] (…) On essaie de traiter tous le monde au même niveau, il n’y a pas de hiérarchie. Aussi quand on doit faire quelque chose, comme une manifestation, on demande l’accord de tous. On vote, la majorité le remporte. Quand la majorité décide quelque chose, on y va tous, pas seulement ceux qui ont voté pour. Il ne faut pas être passif, dans toutes les décisions on est acteur, on en fait partie. »
John parle des difficultés et de la nécessité à se faire confiance entre les différentes nationalités, entre francophone et anglophones. Il parle du rôle des interprètes, nécessaire pour que personne ne soit mis de côté, mais il met en garde également contre le pouvoir que cela donne : « Ce n’est pas parce que moi je parle anglais, italien et français que je suis plus important, non. Ca, ça n’existe pas. On essaie de traiter tous le monde au même niveau. Seulement même père, même mère. On insisté sur cela : tous au même niveau, il n’y a pas de hiérarchie. »
On fait la lecture des revendications qu’a écrit le groupe de Castel Volturno, on se dit qu’il faut faire passer le message, qu’il faut apprendre à se connaitre, échanger nos numéros et nos mails, on se rappelle qu’il faut se méfier des manipulations, ne pas lâcher et ne pas changer d’avis, même sous pression extérieure, même si les résultats sont lointains et incertains. « La chose la plus importante ; c’est que la où tu mets ton cerveau, la où tu mets ton cœur, tu dois tenir la barre » dit Appiah.
« Quand cette affaire de Rosarno est arrivée ce qui nous a manqué, c’était comment s’organiser pour faire entendre nos voix là-bas. Maintenant on a la chance d’avoir cette assemblée pour faire entendre nos voix, maintenant on a cette occasion de nous organiser » conclut John.
Les revendications de l’Assemblée des Travailleurs Africains de Castel Volturno :
- We are here for permits of stay and for living conditions,
- Give us permits of stay so that we can improve our living condition, we come from hard situations
- Life without documents is impossible
- With documents we can work and improve the economy of the country
- With permits of stay we can live together with Italians
- With permits of stay the exploitation of immigrants will stop
- Without permits of stay you can’t get accommodation and work
- We have been forced to come to Italy. It was not our will. We need rights, protection and respect. We are also exploited by some lawyers.
- Look at our problems and give us protezione umanitaria, asilo politico, renewal.
- It is part of our culture to respect the law. Without permits of stay we are not able to keep our culture and to respect the law.
- We love Italy.
Notes
[1] Voir l’article de Marie Arlais, volontaire de la session 10 qui avait rencontré les membres de l’ALAR à leur tout début Ici