Par Marie.
Résumé : victimes de violences racistes la majorité des saisonniers africains de Rosarno ont dû quitter la région. Certains se sont organisés en assemblée afin de défendre leurs droits et de faire connaitre leurs revendications. Les violences du 7 et 8 Janvier sont expliquées de deux façons complémentaires. D’une part il y a la chute du prix des oranges corrélée avec le système d’attribution des aides de la PAC qui ont fait qu’il n’était plus rentable de ramasser les fruits, et ont rendu la présence des saisonniers inutile et donc potentiellement gênante. De l’autre l’instrumentalisation fort probable des tensions par les réseaux criminels locaux afin de détourner l’attention portée sur eux par la Région de Calabre.
Suite aux évènements de Rosarno des 7 et 8 janvier derniers qui ont débouché sur une flambée de violence raciste, la majorité des ouvriers agricoles africains ont quitté la région.
Plusieurs centaines ont été transférés par les autorités locales vers les centres de rétention de Crotone et de Bari. D’autres sont partis de leur propre initiative, fuyant littéralement cet environnement hostile. Une partie s’est rendue à Rome. On parle de 200 personnes. Devant le laxisme des institutions romaines, qui n’ont aucune alternative à leur proposer, un centre social géré par de jeunes militants héberge depuis un mois maintenant une vingtaine de ces travailleurs. Faute de place, les autres sont venus grossir les rangs des sans abris à la gare de Roma Termini.
Récemment, ces jeunes travailleurs ont fait le choix de se structurer en constituant une assemblée pour dénoncer les traitements qu’ils ont enduré et revendiquer leurs droits auprès des institutions italiennes. Aidées et appuyées par le réseau antiraciste de Rome, ces personnes communiquent assidûment autour de leur situation en s’appuyant sur leurs vécus et une lettre sur laquelle on peut lire : « Nous demandons : que le permis de séjour pour motif humanitaire soit concédé aux 11 africains blessés à Rosarno et aussi à nous tous victimes d’exploitations et de notre condition irrégulière qui nous a laissé sans travail, abandonnés et oubliés dans la rue. » ; « Nous voulons que le gouvernement de ce pays prenne ses responsabilités et nous garantisse la possibilité de travailler dignement. » [1]
Chaque jour, ces hommes doivent composer avec une vie quotidienne précaire et l’urgence qui caractérise leur situation : certains d’entre eux sont en possession de permis de séjour en fin de validité. En Italie, le permis de séjour est entièrement subordonné à la possession d’un contrat de travail et on peut facilement imaginer que le contexte dans lequel ils évoluent n’est pas propice à la recherche d’un emploi…Aussi, après un mois de luttes, plusieurs sont retournés dans le sud, à Rosarno ou à Foggia dans l’espoir de réunir un peu d’argent (en travaillant ou en tentant de récupérer leurs salaires impayés) pour payer un avocat, conserver leurs permis de séjour et surtout survivre.
« Les évènements de Rosarno » constituent la partie visible d’un iceberg sur laquelle, pour une fois, les projecteurs ont été braqués. La manière dont ils ont été exploités à Rosarno puis l’indifférence des autorités, sont des éléments qui reflètent des problèmes structurels et globaux. Pour exemple : une filière agro-alimentaire qui pénalise ceux qui produisent – les oranges seraient vendues sur place à 12 centimes le kilo – et récompense ceux qui spéculent et exploitent. Voilà le problème fondamental : tolérance zéro envers les sans papiers, tolérance totale et indifférence vis-à-vis de « l’exploitation sauvage » [2] des travailleurs.
Diverses interprétations sont défendues : elles seraient bien sûr économiques et liées à la crise. A un certain moment, le cours des oranges a chuté et perdu de sa valeur et les rétributions ont été stoppées. Les producteurs auraient préféré profiter des aides communautaires et n’avaient donc plus intérêt à récolter leur production. Ces travailleurs africains sont donc devenus un poids. Selon Antonio Carbone, président de l’association Alpa [3] , c’est à ce moment qu’est intervenue la criminalité locale. « Conscient du problème la ‘Ndrangheta [4] a utilisé ces tensions entre locaux et migrants pour asseoir ses propres stratégies. Cette organisation a amplifié ces tensions et les a instrumentalisé. Par ailleurs, dans ces jours il y a une concomitance d’évènements, qui est selon moi, suspecte ». En effet, à la même période, la Région de la Calabre menait une action pour tenter de démanteler une partie du réseau criminel. Les évènements de Rosarno, qui ont été présentés au premier abord comme un conflit social et raciste, ont pu servir à détourner l’attention. De plus, l’implication de la mafia a été dénoncé dans le récent rapport de l’association « da Sud » [5], qui rappelle que ce type d’évènement se reproduit régulièrement depuis quasiment vingt ans.
Malgré de fortes discordances et une méfiance légitime vis-à-vis de l’instrumentalisation politique (les élections régionales italiennes sont proches), la société civile se mobilise pour tenter de pallier à l’absence de réponses publiques. À Rome et dans la plupart des grandes villes italiennes, le tissu associatif qui se consacre à la défense des droits des migrants ou qui lutte contre le racisme est bien développé. Ces associations ont été les premières à apporter des solutions d’encadrement, de formation et de suivi des migrants, bien avant la mise en place d’un cadre législatif. Certaines de ces associations sont composées uniquement de migrants, d’autres sont “mixtes”, d’autres sont liées à des syndicats, d’autres encore souhaitent rester indépendantes…Au bout du compte, chacun défend son point de vue et accuse l’autre d’être opportuniste ou manipulé. Malgré tout, il existe un consensus autour des évènements de Rosarno qui s’est concrétisé avec la constitution de l’assemblée des africains de Rosarno. Devant l’ampleur du défis à relever, on ne me que souhaiter une « longue vie » à cette assemblée et au réseau qui la soutien !
[1] Manifeste de l’assemblée des travailleurs africains de Rosarno à Rome « Les mandarines et les olives ne tombent pas du ciel »http://juralibertaire.over-blog.com…
[2] Tonino Perna, journal « Il manifesto » du 10/01/2010
[3] président de Alpa Nationale (Association Travailleurs Producteurs Agroalimentaires) http://www.alpainfo.it/servizi.htm
[4] La ’Ndrangheta est une organisation mafieuse originaire de la région de Calabre au sud de l’Italie
[5] DaSud,/stop’ndrangheta, « Arance insanguinate, dossier Rosarno », février 2010,http://www.dasud.it/
[6] Une journée sans immigrés : “une journée sans nous le 1er Mars » qui s’est déroulée dans plusieurs pays européens.