Par Cabiria.
Résumé : La crise agricole frappe de plein fouet les migrants sans-papiers de la province d’Alméria. La raréfaction des embauches en tant que saisonniers les contraints à une vie en marge, dans des chabolas (des constructions rudimentaires faites en matériaux de récupération) et des cortijos (anciennes maisons d’agriculteurs, insalubres et souvent en ruine). Les conséquences sur la santé physique et mentale des migrants sont nombreuses et souvent graves.
Description d’une chabola.
Tierra d’Almerìa, province d’Almeria, Andalousie. Nous sommes en pleine mer de plastique, un océan de plastique (c’est comme ça que l’on nomme les hectares et les hectares de serres agricoles dans cette région). Il pleut de façon torrentielle. Nous nous arrêtons pour parler avec un habitant d’une chabola. Une construction carrée, basse, faite de carton, de plastique et de n’importe quel objet qui puisse faire office de paroi. Nous rentrons, 5m2 au plus, il n’y a rien au sol, la terre rouge et humide. Il pleut à l’intérieur, les gouttes tombent directement dans un bac avec de la vaisselle sale. L’homme est très couvert, la trentaine d’années, il ne travaille pas. Ca fait maintenant trois ans qu’il vit en Espagne et n’a pas de papiers. Il a déjà reçu deux avis d’expulsions. Il y a un autre homme qui rentre, il est venu rendre visite au premier. Il vit dans une chabola aussi. Lui ça fait 8 ans qu’il réside en Espagne. Il n’a toujours pas de papier et plusieurs avis d’expulsion. Les avis d’expulsion annuleraient l’ancienneté de présence sur le territoire, il faut alors recommencer à chaque fois et prouver que cela fait au moins trois ans que l’on vit en Espagne. Dehors c’est plein de poubelles, tout au long de la route, tout au long des serres, devant chaque chabola. Des poubelles de plastique. Il n’existe pas d’interruption matérielle entre les serres, les poubelles à côté des serres, les chabolas à côté des poubelles. Nous repartons, les routes sont inondées. En bas de la colline, à quelques cent mètres des chabolas on peut voir des palmes, un terrain de golf et des maisons de luxe.
Encore moins de travail encore moins de droits : dégradation du quotidien dans les chabolas.
Si les conditions de vie des travailleurs migrants saisonniers étaient, à Almeria, d’une extrême dureté, les choses ont empiré ces dernières années avec l’arrivée de la crise économique. Si avant il était possible de travailler quelques 15 jours par mois il est maintenant quasi impossible de trouver du travail et par conséquent impossible de trouver un logement digne de ce nom et de quoi subvenir à ses besoins. Les chabolas et cortijos ne font que se multiplier dans la province. Les cortijos sont les anciennes maisons des agriculteurs, abandonnées depuis des années et reprises par les travailleurs immigrés, souvent sans arrivée d’eau ni d’électricité. Certains agriculteurs trouvent le moyen de se faire payer la location de ces taudis ne respectant aucune norme sanitaire.
Toujours à Tierra d’Almeria, ils seraient 80 à vivre dans un hameau de chabolas. Des marocains pour une grande majorité d’entre eux. Ils n’ont plus de travail pour la plupart. Nous sommes venus ici pour parler avec un homme que mon collègue connait bien. On nous explique qu’il a été expulsé, renvoyé au Maroc sans que nous ne sachions rien. C’est difficile de comprendre, personne ne parle espagnol. Pendant ce temps, juste à côté de nous, un jeune enterre des fils électriques « on prend de l’électricité des installations publiques mais on est obligé de les cacher sous terre parce que quand vient la police ils arrachent tout ».
Aziz nous raconte son histoire, il a 26 ans et est arrivé en Espagne il y a 6 ans, il n’a toujours pas de papiers : « On vit comme de animaux ici, sans travail, sans droits, on ne peut pas louer d’appartement. On se lève chaque matin pour demander au chef du travail mais il n’y a pas de travail. On a de la nourriture que par la croix rouge. Il pleut à l’intérieur regarde ça ! On prend l’eau qui n’est pas potable, on récupère l’eau de la pluie. Et la police, on a peur de la police, ils viennent la nuit. On a tous peur. Les sans papiers courent le plus vite possible. Sans papiers on ne peut même pas retourner au Maroc. Je ne sais pas pourquoi ils contrôlent surtout les marocains. […] Avant je travaillais mais le chef a vendu ses serres et nous a licenciés, depuis 2007 je n’ai plus eu de travail. Avant quand il y avait du travail on te traitait plutôt bien, maintenant tout le monde cherche du travail alors ils nous traitent mal, si tu ne travailles pas comme ils disent, ils te mettent dehors, y aura toujours quelqu’un d’autre pour travailler, il faut travailler toujours plus vite. Les patrons ferment les serres à clé de l’intérieur pour plus qu’on vienne leur demander du travail. Quand je travaillais, j’étais payé 30€ pour 8h de travail par jour, mais ils ne nous faisaient pas travailler tous les jours, je travaillais environs 15jours par mois. Maintenant les gens sont prêts à être payés 20€ de la journée. »
L’impact de ce contexte sur la santé physique et psychique des travailleurs migrants.
Selon une permanente de Médecins du Monde Almeria, dernièrement beaucoup de personnes qui étaient sorties des chabolas et des cortijos y sont retournés à cause de la crise économique et des lenteurs administratives qui retardent la régularisation de beaucoup de travailleurs. Il serait 90% des travailleurs immigrés à vivre dans ces conditions. Elle s’inquiète des conséquences sociales de ce phénomène. « Ca génère un phénomène d’exclusion très fort et avec des besoins sociaux très forts aussi, avec des conditions sanitaires et d’hygiène pas croyables. […] C’est très préoccupant. Si un espagnol perd son travail il a un réseau social et familial qui peut l’aider mais si un étranger est sans travail et sans familles et sans aides sociales, sans papiers et sans et sans et sans… il y a des troubles qui apparaissent, il y a beaucoup beaucoup de dépressions, des troubles psychiques et ça a une influence sur l’ensemble du groupe. […] Il faut voir comment le contexte influence sur la santé parce que quand tu rentres dans cette zone juste l’air que tu respires est terrible et l’eau, ils prennent l’eau des étangs, ce n’est pas de l’eau potable et la situation est dramatique. El Ejido par exemple (province d’Almeria) était une ville avec un très fort rendement, il y avait beaucoup d’argent qui circulait provenant du travail des immigrés dans les serres et ça pendant dix ans et la mairie n’a jamais rien fait pour améliorer les conditions de vie des travailleurs migrants. Et l’écart de richesse que tu peux rencontrer est très brutal. »
Ainsi, en bout de chaine du cycle économique, les travailleurs migrants saisonniers paient le prix fort de la crise : sans emploi, sans logement, sans aucune considération.