Résumé :
L’absence de certification pour les producteurs d’asperges et de fraises s’explique par le fait que les producteurs préfèrent faire appel à une main d’œuvre la moins chère possible quitte à ne pas respecter le droit du travail. L’existence de ce label ne semble pas permettre d’encourager les bonnes pratiques mais permet au moins de mettre en lumière les conditions de travail des ouvriers agricoles dans l’agriculture néerlandaise.
Les schémas souples et réalisés sur une base volontaire semblent caractériser la régulation des pratiques des acteurs concernés par le recours aux travailleurs migrants saisonniers. C’est le cas donc avec les agences de travail et les processus de certification, mais aussi avec certaines productions agricoles. En effet, le label « Fair Produce » censé garantir des conditions de travail et de rémunération dites équitables de la main d’œuvre agricole employée dans les productions de champignons (composées principalement de migrants), est voué à être étendu aux productions d’asperges et de fraises. Cependant, aucun de ces producteurs n’est pour l’instant parvenu à obtenir le label …
Un retour explicatif sur le label « Fair Produce »
C’est à la suite de plusieurs dénonciations publiques de cas d’exploitation de travailleurs migrants dans les productions de champignons néerlandaises que le label « Fair Produce » a été établi en 2011. Il vise à garantir que la production a été réalisée dans des conditions de travail et de rémunération respectant les ouvriers agricoles employés et donc la législation en vigueur. Plusieurs parties prenantes en sont à l’origine dont la première organisation de producteurs agricoles (le LTO), les producteurs eux-mêmes, Frugi Venta (œuvrant pour la promotion du commerce de fruit), le ministère des Affaires Sociales et de l’Emploi, une banque impliquée dans le financement agricole (la Rabobank), et enfin les syndicats et plus particulièrement le FNV et le CNV. Il implique également les supermarchés dans la mesure où ces derniers peuvent vendre les produits sous ce label à conditions d’avoir entièrement acheté la production à des producteurs eux-mêmes certifiés. Il est à noter qu’ils sont également à l’origine de ce label.
Les conditions à remplir pour obtenir une certification sont notamment : le respect de la lois et de la régulation concernant le travail, c’est-à-dire le payement des travailleurs selon les accords collectifs de branches (ou bien au minimum légal si les accords sont absents dans la branche), avec un report écrit des heures travaillées et un contrat de travail dans la langue maternelle des travailleurs, ne pas avoir recours à des travailleurs employés sous le statut « self-employed », et si le producteur à recours à une agence de travail pour recruter ces employés, celle-ci doit être certifiée NEN-4400 (payement des taxes de personnel, payement des employés au salaire minimum, payement des contributions à l’assurance sociale nationale, et enfin si l’agence de travail est étrangère, établissement de l’identité des travailleurs et vérification de la légalité de leur statut de travailleurs aux Pays-Bas)[i]. Le processus d’audit est réalisé par un organisme habilité. Cependant les syndicats, qui souhaitaient être une partie prenante de l’audit, se sont vu refuser cette possibilité par l’organisation de producteurs.
Maintenant étendue à la majorité des producteurs de champignons, le label semble avoir fait ses preuves en termes d’accroissement des contrôles et de lutte contre l’exploitation dans ce type de production, même si des choses restent à faire selon les syndicats. Des mécanismes de fraudes persistent et les producteurs disposent encore de marge de manœuvres au niveau de zones « grises » de régulation.
Une extension du label souhaitée, mais qui pose problème
L’extension du label à d’autres types de production, principalement les asperges et les fraises, est souhaitée par diverses parties prenantes. D’une part le gouvernement, qui y voit un moyen de renforcer la régulation et d’encourager les bonnes pratiques. Celui-ci est notamment en partie à l’origine du financement du label, avec la banque de financement agricole Rabobank. L’extension du label aux productions d’asperges et de fraises constituait d’ailleurs une des conditions du financement. D’autre part, le LTO (la plus importante organisation néerlandaise de producteurs agricoles) et les producteurs eux-mêmes. L’obtention du label « Fair Produce » représente un moyen de prouver aux consommateurs un engagement dans de bonnes pratiques vis-à-vis du travail, mais aussi d’améliorer ses parts de marchés auprès de consommateurs qui peuvent être aujourd’hui soucieux des conditions de production présentes derrière certains produits, et plus particulièrement suite à divers scandales d’exploitations relayés par la presse. C’est donc aussi un moyen d’améliorer l’image du secteur agricole. Les supermarchés et revendeurs sont également présent dans ce second groupe, pour les mêmes raisons.
Depuis 2013, la certification « Fair Produce » peut aussi être obtenue par les producteurs d’asperges et de fraises, selon les mêmes conditions que leurs homologues engagés dans une production de champignons. Or jusqu’à présent et donc depuis bientôt un an et demi, aucun producteur de fraises ou d’asperges n’a satisfait aux conditions nécessaires pour être certifié, et un petit nombre d’entre eux seulement ont tenté de s’y soumettre. Des questions émergent donc quant aux explications d’une telle situation, alors que dans le cas de la production de champignons, les avancées sont certaines. Les points suivants visent à en fournir quelques-unes.
Quelques explications … avec la réduction des coûts du travail comme facteur de blocage
Les raisons avancées par les syndicats dans leur opposition à l’obtention de la certification par ces quelques producteurs relèvent avant tout du respect des accords collectifs de branches concernant les productions « de pleins champs ». Selon eux, les producteurs ne satisferaient pas entièrement aux conditions qui y sont définies. Notamment parce qu’ils feraient usage de manipulations plus ou moins légales afin de disposer d’une main d’œuvre au prix le plus faible, et ce, toujours en vue de réduire leur coûts de production.
D’une part, il est prévu dans l’accord collectif en question qu’une fois le premier contrat de travail saisonnier de 2 mois maximum terminé, l’ouvrier agricole ne peut être renouvelé qu’en obtenant le second type de contrat de travail saisonnier (6 mois maximum). Mais les pratiques s’avèrent différentes : la plus part du temps, les ouvriers sont renouvelés sur la base du premier type de contrat saisonnier. Afin de contourner le caractère « illégal » de cette manœuvre, les producteurs délivrent des contrats de travail sous le nom d’une entreprise différente mais qui s’avère appartenir au même producteur. Cela est par exemple possible quand un producteur crée une filiale pour une activité parallèle, comme la production de plants d’asperges, ou encore en créant sa propre agence de travail, et d’y inscrire les travailleurs même si ceux-ci vont également travailler à la récolte pour le compte de l’entreprise ou de la division de l’entreprise chargée de la production. L’avantage pour les producteurs est que dans le premier type de contrat saisonnier ils ne sont pas soumis aux payements des cotisations sociales de leurs employés, contrairement au second type de contrat saisonnier. Aussi, la rémunération y est plus faible.
D’autre part, les producteurs ce sont également vu refuser l’obtention du label car la plus part utilisaient une main d’œuvre employée via une agence de travail. Le recours à des travailleurs recrutés par une agence est en effet autorisé dans le cadre de la production de champignons, à condition que l’agence en question soit certifiée NEN-4401 ou NEN-4402, mais uniquement parce qu’aucun accord collectif ne vient réguler les conditions de travail et de rémunération de ce type de production. La régulation minimum légale (salaire minimum particulièrement) s’applique donc pour l’obtention du label, et ce indifféremment du fait que les travailleurs soient employés directement par le producteur ou non. Il n’y a ainsi pas de différences en termes de conditions de travail et de rémunérations des travailleurs agricoles dans ces deux cas. En revanche, dans le cadre des productions d’asperges et de fraises, les accords collectifs négociés sont présents et l’obtention du label est donc soumise au respect des clauses qui y sont définies. Le recours à une agence de travail signifie alors qu’en termes de droits, les ouvriers déployés sont moins bien dotés que s’ils étaient employés directement par le producteur. Par exemple en terme de rémunération pour une semaine de 38h, le salaire horaire est de 9,51 euros minimum dans le cadre de l’accord collectif des productions de « plein champs » pour un premier contrat saisonnier, puis 9,58 pour les contrats suivants pouvant aller jusqu’à 6 mois, contre 9,02 euros pour le salaire minimum, s’appliquant donc aux travailleurs déployés par des agences de travail. Mais surtout, dans ce dernier cas, les contrats de travail sont beaucoup plus flexibles en termes de volume horaire hebdomadaire. C’est pourquoi le label, censé garantir des conditions de productions équitables pour les travailleurs, ne peut être délivré dans ce cas, mais aussi parce que les conditions de départ lors de sa mise en œuvre était le respect des lois et de la régulation du travail en vigueur (autrement dit le respect des accords collectifs).
Si peu de producteurs ont donc tenté, et encore moins réussi, l’aventure « Fair Produce », c’est donc apparemment en raison d’économies de coûts de production, rendues possibles principalement par le recours à une sous-traitance du travail.
Retour sur un phénomène nouveau
Il est à noter que cette analyse apparait particulièrement valable dans le cas où un producteur dispose de sa propre agence de travail : c’est à dire une filiale consacrée à la gestion du travail et appartenant au même groupe, une sorte de sous-traitance interne finalement. La régulation néerlandaise est en effet suffisamment (ou trop) souple pour que presque tout le monde soit en mesure de créer ce genre d’activité commerciale (cf article précédent sur la régulation de l’activité des agences de travail). Dans ce cas précis donc, le producteur-gestionnaire peut légalement réduire ces coûts de production au minimum en se soustrayant aux conditions de rémunérations des accords de branche, ainsi « qu’au prix de marché horaire de la main d’œuvre » que l’on pourrait qualifier d’intérimaire (fournie par une agence de travail). Ce prix s’élève en moyenne, à 15 euros pour une heure de travail réalisée par un travailleur déployé par une agence[ii]. Aussi en termes de flexibilité, les contrats de travail des agences sont également avantageux : ils permettent de faire travailler une personne un minimum de 15h par semaine (mais pas en dessous de 3heures par jours[iii]) et jusqu’à 40h, et plus si sont prises en compte les heures supplémentaires, tout en n’ayant pas à rémunérer les jours non travaillés. En d’autres termes, constituer sa propre agence de travail quand on est producteur signifie qu’il est alors possible d’éviter légalement de se soumettre aux conditions de travail et de rémunérations établies par l’accord collectif de la branche, et ainsi disposer d’une main d’œuvre flexible à souhait et rémunérer au niveau légal le plus faible. En outre, bien que des accords collectifs aient été négociés pour le travail intérimaire, leur respect n’a en effet pas encore été rendu obligatoire pour l’ensemble des entreprises présentes dans ce type d’activité. Et même si théoriquement ce n’est pas la même entreprise qui réalise la sous-traitance du travail, dans la réalité l’entreprise de production et celle de sous-traitance du travail appartiennent au même producteur, font partie du même groupe, et donc partage finalement en partie leur coûts. Bien sûr cela nécessite un temps et un coût de gestion, celui-ci est cependant rentabilisé avec la taille de l’exploitation et donc le nombre de travailleurs nécessaire.
Le producteur et son agence de travail disposent alors aussi d’une palette de situation pour utiliser une main d’œuvre « bon marché » et flexible à souhait, dans des conditions qui apparaissent tout à fait légales mais néanmoins incohérentes avec la logique du label. Ce type de pratiques qui commence à émerger au niveau des productions de plein champ, est néanmoins déjà largement développé dans les productions sous serres[iv].
Ainsi donc, cette même entité à la fois fournir des contrats de travail saisonnier pour des périodes de travail importantes, sans avoir à payer de cotisations sociales pour les deux premiers mois, et ce de manière successives. Ou au contraire, dans le cas où le travail se fait rare mais que quelques heures par semaines sont nécessaires, elle peut alors avoir recours à un employé de l’agence de travail pour le faire travailler un minimum de 3h par jours, mais pas forcément 5 jours par semaine, mais aussi également augmenter ses heures de travail jusqu’à 60 par semaine si le travail est important. Il est également possible de jongler entre les contrats : l’activité agricole permet de recourir aux contrats de travail saisonnier de l’accord de branche « production de plein champs » dans un premier temps, puis ensuite de proposer un contrat flexible (du type de ceux des agences de travail) avec une rémunération au salaire minimum, ou alors un second contrat saisonniers relevant du même accord de branche étant donné que son agence déploie un travailleurs dans le secteur agricole. Il peut donc ainsi facilement adapter sa main d’œuvre aux besoins nécessaires, et minimiser ses coûts de production afin de s’emparer de part de marché ou répondre aux injonctions de baisses de prix des distributeurs. Et dans une perspective générale, le producteur peut tout simplement bénéficier d’une main d’œuvre flexible à souhait (contrat de travail entre 15 et 40 h par semaine), pour un prix relativement faible (le plus bas possible légalement, en se référant au salaire minimum légal).
Finalement, ce sont une fois de plus les droits des travailleurs qui sont sacrifiés au profit des prix de ventes de production réduits. Ainsi donc s’explique l’absence de producteurs d’asperges ou de fraises certifiés « Fair Produce ». Si le label n’aura pas permis d’encourager les bonnes pratiques, il aura au moins eu le mérite de faire émerger au grand jour ces manipulations légales permettant d’obtenir une main d’œuvre « bon marché » et flexible à souhait.
[i] Pour plus d’information sur les conditions à remplir lors du processus d’audit : http://www.fairproduce.nl/downloads/inspection_standard_growers-EN.pdf
[ii] Il s’agit là d’une moyenne, mais certaines agences peuvent être très compétitives et proposés des prix horaires bien moins élevés, notamment en ayant recours à diverses techniques de récupération de l’argent versée pour le salaire des travailleurs (par exemple en logeant 5 travailleurs dans des logement prévus pour trois, avec un salaire élevé, en leur facturant leur transport sur le lieux de travail, et leur faisant payer plus que nécessaire pour l’assurance etc ….)
[iii] L’employé ne peut être mobilisé pour moins de 3 heures par jour.
[iv] D’après un entretien réalisé avec un membre de l’organisation de producteurs LTO.