Résumé :
Dans le Piémont depuis les années 90 une centaine de micro-brasseries ont été ouvertes. L’une d’entre elle, la coopératice Pausa Cafe, porte un projet social ambitieux, notamment la réinsertion sociale et économique de détenus. La bière est brassée au sein même de la prison, et les détenus y travaillant sont payés 600 euros par mois pour 20 heures de travail hebdomadaire. La production, qui fait la part belle à des produits originaux et de qualité, connais un certain succès.
Gastronomie piémontaise
Sillonner les campagnes piémontaises a un prix (celui de l’essence notamment) mais on y trouve quelques récompenses au gré des belles rencontres que l’on y fait: Grignolino d’Asti, Ruche’ di Castagnole Monferrato, Barbera d’Alba, oranges et bergamotes de Rosarno (les bonnes, produites sans pesticides ni esclavage), là encore Robiola di Roccaverano, chicorée du voisin, fraises du jardin, voir des bois, gâteau à la noisette piémontaise, miel de châtaignier…
La gastronomie piémontaise ne se résume pas, loin s’en faut, à la barquette de patates dégoulinantes de mayonnaise gélatineuse où se noient quelques misérables dés de jambon de porc carré.
Je laisserai cependant de côté les Carne cruda, Gianduiotto, Bagna cauda, Plin et autres riches spécialités pour explorer un domaine moins typique mais néanmoins un peu plus rafraîchissant: la bière.
L’ère des micro-brasseries artisanales
Depuis le milieu des années 90 fleurissent en effet en Italie les micro-brasseries artisanales, au nombre de 120 environ aujourd’hui, qui viennent concurrencer en qualité plutôt qu’en quantité les bières industrielles (Nastro Azzurro, Moretti, etc). S’est naturellement développée en parallèle une culture de la bière, donnant lieu à des manifestations locales gastronomiques, les « sagre » chères aux campagnes italiennes. C’est justement lors d’une des ces fêtes de la bière artisanale à Saluzzo que j’ai eu l’occasion de goûter quelques créations de la brasserie locale Pausa Cafè. En discutant quelques minutes avec Andrea le maître brasseur, je découvre, au delà d’une belle amertume, un projet de coopérative plutôt intéressant, et je saute donc sur l’invitation à venir visiter la brasserie et rencontrer l’équipe.
Cooperative Pausa Cafe
Quelques jours plus tard, après quelques formalités administratives, je me retrouve dans la Casa di Reclusione “Rodolfo Morandi” de Saluzzo.
En prison donc, car c’est là la particularité de cette brasserie, elle fait partie de Pausa Café, une coopérative sociale tournée vers le développement économique solidaire, dont une des principales activités est la réinsertion sociale et économique des détenus.
Je passe le premier portique où les quatre gardiens font tout leur possible pour faire vivre la légende propre à leur profession,( – »aimable comme une porte de prison! » aurait immanquablement lâché ma grand-mère-moi je me retiens, en raison d’une légère allergie aux clichés).
La brasserie se trouve dans une cour, à laquelle n’ont accès que les détenus qui pratiquent des activités économiques ou culturelles, et soumise à une surveillance restreinte, une sorte de sas entre dehors et dedans.
Les sifflements et interpellations en provenance des fenêtres supérieures à notre passage seront sans doute les seuls signes me rappelant où nous sommes.
A l’intérieur du laboratoire, je suis accueillie par les trois autres brasseurs, apprentis ou chevronnés, et tous détenus ici depuis quelques années.
Adriano, salarié de la coopérative depuis le début du projet en 1998, me décrit avec une passion évidente tout le processus de la fabrication, depuis l’orge malté (dont 70% est importé de France) jusqu’à la mise en bouteille et en fût, en passant par les épices, le houblon, les filtrage, brassage, fermentation, maturation…
Outre le fait de fournir un emploi et un parcours d’insertion pour les détenus, le « birrificio » a également vocation à développer un véritable savoir faire, basé entre autres sur l’expérimentation de tous les grands types de bières( Weiss, Pils, Bitter Ale, Lambic etc.) et sur des recettes originales incluant café, coriandre, gingembre, dattes, etc.(issus des activités de commerce équitable de la coopérative).
Sonne l’heure de la dégustation (je note que l’alcool est autorisé en prison). Le nez dans une Framboise lambic- belle acidité-, Pedro, d’origine dominicaine, m’explique qu’ici rares sont ceux qui souhaitent faire un parcours, prendre des cours, travailler. L’organisation du travail participative, horizontale appliquée au sein de la brasserie lui a permis de rencontrer des personnes de l’extérieur, de trouver un environnement respectueux, avec un regard différent: révolutionnaire par rapport à ce qu’il a connu jusqu’ici. « Le premier produit c’est nous », dit-il.
Avec 600€ par mois pour 20h de travail hebdomadaire, l’apport financier est substantiel, et permet également de montrer à la famille une certaine dignité.
Barley wine doré, au cacao, vieillie en fut de Calvados: l’idée d’un produit alimentaire de qualité qui sort de la prison et qui va être consommé et apprécié par d’autres dehors est fondamental: quelque-chose de bon sort d’ici, les précède, peut-être.
Avec 50 000 litres produits par an, la brasserie tient la route économiquement, grâce notamment à des distributeurs importants COOP et Eataly.
Un autre projet verra peut-être le jour dans une prison de la région de Caserta, avec de l’orge produit par Libera Terra (organisation qui permet à des coopératives sociales de cultiver les terres confisquées à la Mafia), au grand déplaisir de la Camora).
Il est 18h30, Andrea et moi sortons, Pedro et Adriano rentrent.