Encore une saison sous les ponts?

Résumé : L’année dernière, des saisonniers espagnols d’origine sahraouie ont été expulsés à deux reprises de leurs campements de fortune, alors qu’ils travaillaient le jour dans les vignobles libournais. Tant les châteaux, qui font appel à des prestataires de service et n’ont aucun contact direct avec les saisonniers, que les autorités publiques se détournent de leurs responsabilités vis-à-vis de ces travailleurs qui n’ont aucune possibilité de se loger décemment. Cette année, un Collectif regroupant associations de défense des droits et syndicats s’est créé pour exiger des mesures d’urgence.

   Ils travaillent dans les vignes le jour et dorment dans la rue la nuit. Depuis quelques années, des Espagnols d’origine sahraouie – entre autres – viennent faire les saisons viticoles dans les régions libournaise et médocaine, en Gironde. Alors qu’ils disposaient d’une situation professionnelle et sociale stable en Espagne, ils ont été parmi les premières victimes de la crise économique et se sont résolus à venir effectuer des travaux agricoles dans le Sud-Ouest de la France. L’année dernière, ils étaient plus d’une centaine, employés par des entreprises prestataires, à dormir dans des squats ou à la rue. Au début de l’été, sur signalement des municipalités, ils ont dû évacuer à deux reprises leurs campements de fortune, sous un pont d’autoroute à Arveyres, puis des bâtiments appartenant à une filiale de la SNCF. Aujourd’hui, ces travailleurs saisonniers commencent à revenir dans la région sans qu’aucun dispositif d’hébergement n’ait été prévu, malgré la mobilisation de plusieurs associations, notamment la Ligue des Droits de l’Homme (1), qui multiplient les interpellations des pouvoirs publics.

     La situation semble bloquée, puisqu’aussi bien les employeurs que les autorités se détournent de leurs responsabilités. Les entreprises prestataires de travaux agricoles qui embauchent ces travailleurs étrangers n’ont aucune obligation légale de prendre en charge leur hébergement. Si elles permettent aux saisonniers – dans les meilleurs des cas – d’être en possession de contrats de travail et de toucher un salaire régulier, peu d’entre eux parviennent à louer un logement auprès d’un propriétaire. Quant aux pouvoirs publics, ils ferment les yeux et contribuent de fait à la résurgence du problème. La région aquitaine avait pourtant adopté en 2012 un « Plan Régional des Saisonniers » qui comportait de nombreuses propositions en matière de logement, mais la mise en œuvre est loin d’être effective. La création d’une Maison des Saisonniers – qui ne prévoit cependant aucune possibilité d’hébergement, mais peut faciliter l’accès aux droits et au logement – est envisagée, mais l’étude de faisabilité ne sera rendue qu’au mois de septembre prochain. Les services préfectoraux et municipaux ont pour l’instant exclu toute réquisition de bâtiments ou convention avec des organismes disposant ou gérant des lieux d’hébergement. D’après le sous-préfet de Libourne, le Ministre de l’Agriculture aurait refusé de modifier l’arrêté du 1er juillet 1996 relatif à l’hébergement des travailleurs agricoles. Ce texte autorise de manière dérogatoire l’hébergement sous tentes sur les exploitations dans certains départements, mais pas en Gironde. Encore faudrait-il que les propriétaires viticoles soient partie prenante de ce dispositif. Rien n’est moins sûr si l’on considère le recours important à la sous-traitance, qui contribue à leur déresponsabilisation et les exclut de toute relation avec les travailleurs. D’autre part, la promotion d’une image de marque et de prestige des châteaux paraît difficilement compatible avec l’emploi massif d’une main d’œuvre étrangère, qui deviendrait dès lors visible, et son hébergement sous tentes ou en habitat mobile sur les domaines.

Début mars, les associations et syndicats mobilisés se sont regroupés sous l’appellation du Collectif Libournais pour les travailleurs saisonniers. Encore une fois, il s’agit de rappeler les différents acteurs à leurs responsabilités et à leurs obligations. En effet, les autorités locales sont directement impliquées au titre du maintien de l’ordre public, du développement économique et de l’action sociale. Quant aux employeurs et propriétaires viticoles, leurs responsabilités prennent une dimension morale – les saisonniers venant travailler pour leur compte – et, en nous plaçant dans une approche purement rationnelle, économique – car les travailleurs seront d’autant plus productifs qu’ils disposeront de logements décents. Enfin, la responsabilité est également de l’ordre juridique puisque la loi sur la concurrence déloyale adoptée en juillet 2014 prévoit une « vigilance » du donneur d’ordres sur les conditions d’hébergement des salariés d’une entreprise sous-traitante.

     En attendant, les saisonniers espagnols vont poursuivre leur arrivée dans la région. Si aucune mesure n’est mise en place, une année de plus, ils dormiront dans leurs voitures, ouvriront des squats ou des campements sur des parkings, comptant sur la générosité des habitants locaux pour les besoins en eau mais aussi pour les domiciliations administratives (2). Au-delà d’une problématique locale de logement, cette situation révèle toutes les difficultés d’accès aux droits pour les travailleurs migrants saisonniers, et leur seule considération en tant que main d’œuvre agricole flexible et peu revendicative.

(1) Voir le communiqué de presse « Travailleurs saisonniers en Libournais : halte au scandale ! La LDH appelle les employeurs et les autorités à leurs responsabilités et au strict respect de leurs droits », Ligue des Droits de l’Homme, Fédération de Gironde

(2) Une adresse en France est exigée pour la signature du contrat de travail, mais les dossiers sont très compliqués à monter pour les demandes de domiciliation au Centre Communautaire d’Action Sociale, et les autres organismes agréés sont débordés par les demandes.

Share