Résumé :
Les coopératives sont au départ créées pour protéger le parc arganier. Elles sont un outil d’autonomisation des femmes mais qui reste limité pour plusieurs raisons :le leadership masculin est difficilement évitable, les femmes manquent souvent d’éducation et de formations, beaucoup sont analphabètes, connaissent mal les règles du marché, ce qui entraine des difficultés dans la commercialisation de leur production.
En vogue depuis les années 1990, le concept de coopérative féminine nous propose une solution alternative à l’enclavement des femmes au Maroc, en particulier en milieu rural. Bien connues des occidentaux à travers la vente « éthique » de produits à base d’huile d’argan – les coopératives féminines se sont multipliées mais ne font pas forcément recette.
La vraie histoire du concept de coopératives féminines
L’idée des coopératives féminines ne vient pas de la volonté de responsabiliser et faire évoluer le statut de la femme au Maroc, mais bien d’une solution protectionniste en réponse aux problèmes de surexploitation par l’homme de l’arganier – richesse naturelle de la région du Sud du Maroc. Lorsqu’au début des années 1990, la GTZ tire la sonnette d’alarme et signale une diminution significative du parc d’arganier dans la région – naît alors la solution de la coopérative : pour préserver l’arbre, il faut faire participer les femmes. Principales protagonistes de cette menace, l’objectif est de leur faire prendre conscience de la richesse de ce patrimoine. La valorisation de l’argan et des pratiques ancestrales seront alors mis en avant auprès des femmes à travers l’aspect pécuniaire que l’arbre et ses fruits pourront leur apporter. Depuis les coopératives féminines se sont multipliées et touchent d’autres secteurs, principalement l’agriculture et l’artisanat.
La coopérative, en théorie
Basées sur des principes de solidarité, d’enrichissement personnel et de durabilité, les coopératives sont des groupements de femmes leur permettant de jouir d’une activité génératrice de revenu, de se responsabiliser, de se former et surtout d’avoir une voix. En effet, la gestion de la coopérative se fait dans un esprit d’équité et donne à chaque femme une voix dans le vote des décisions relatives à la coopérative. La contribution de base demandée aux femmes est la même pour toutes et la répartition des bénéfices générés par leur activité est sensée être réalisée de façon équitable et transparente. Ainsi, les projets de coopératives représentent un bon moyen d’intégrer les femmes dans le développement économique de leur localité et contribuent à l’amélioration de leur statut et de leurs conditions sociales. En outre, les coopératives permettent aux femmes d’échapper un temps soit peu à l’organisation patriarcale dans laquelle elles évoluent pour s’épanouir dans l’exercice d’une activité rémunérée et solidaire.
Si le concept théorique des coopératives féminines séduit à bien des égards, il peut être difficile à appliquer par les acteurs sur le terrain. Plusieurs obstacles viennent en effet s’entremêler et porter atteinte à la réussite de tels projets.
Il faut tout d’abord évoquer le leadership masculin, qui peut orienter les projets de coopérative. Les hommes étant les interlocuteurs privilégiés des organismes de développement ou des ONG – de part leur statut au sein de leur communauté ou simplement parce qu’ils sont instruits et libres dans leurs déplacements- ils sont souvent impliqués dans le processus de création du projet et représentent bien souvent la seule source d’information pour les femmes adhérentes. A cela s’ajoute le fait que la société marocaine est fondamentalement masculine et patriarcale – donc moins disposée à la création de lieux de rencontre et d’activité destinées aux femmes en dehors du foyer. Ainsi, de nombreux abus ont été observés comme la rétention d’informations exercée par des interlocuteurs masculins – ne communiquant pas d’informations maîtresses aux principales concernées…Cependant, il faut noter que ces projets ne seraient pas viables sans la participation de présidents d’associations désireux d’améliorer la situation de la femme à leur échelle.
Aussi, nombreuses sont les adhérentes analphabètes. Le manque d’éducation et de formation des femmes gérant ces coopératives peut freiner le développement de leur activité. En effet, outre le fait de ne pas lire ou écrire, elles n’ont pas de repères financiers, managériaux ou commerciaux ; qui seraient pourtant nécessaire afin de gérer et planifier leur activité.
Toujours en lien, se pose le problème de la commercialisation de leur production. Comment vendre à un tarif intéressant quand on ne connait pas les règles du marché ? C’est le plus gros problème que rencontre les coopératives de femmes, comme nous l’indique Fatine, la directrice de la coopérative d’Izourane – douar situé près de la ville ouvrière de Biougra (Zone du Chtouka – Région du Souss Massa Drâa). Spécialisée dans la production d’huile d’argan, sa coopérative a décidé de diversifier son offre début 2013 en y ajoutant de la semoule de couscous. En effet, avec une faible capacité de production, il est difficile d’écouler un stock lorsque « le marché est saturé, et les prix très compétitifs ». Ayant un temps considéré de vendre leur production à travers un groupement d’intérêt économique (GIE), elles ont finalement abandonné l’idée – le processus de vente étant long et souvent bloqué par d’autres adhérents. Le problème prend donc racine dès le stade de la conception des projets – où les processus de distribution et de communication ne sont pas intégrés au business model.
Et bien que des formations soient organisées par les organismes de financement pour les directrices de coopératives, les moyens mis en œuvre ne suffisent pas à rééquilibrer la balance.
Enfin, il y a un manque de confiance saillant entre les femmes des coopératives et le monde extérieur. Ce point s’explique facilement par le fait qu’elles aient été très vite retirées du système éducatif et qu’elles sortent peu du douar où elles résident. On observe donc un fossé entre la vie que ces femmes mènent et celle à laquelle elles sont confrontées lorsqu’il s’agit de vendre leur production et de côtoyer un système capitaliste qui leurs est complètement inconnu.
C’est d’ailleurs ce vide éducatif et cet enclavement qui les maintiennent dans l’ignorance et les obligent à avoir recours à des interlocuteurs pour gérer leurs propres projets de coopératives…
Ainsi, monter un projet de coopérative, c’est possible, notamment grâce à l’existence de nombreux organismes de financement. Faire durer l’aventure et commercialiser une production pour faire vivre le projet, c’est déjà nettement plus compliqué. Le montage d’un projet de coopérative est une étape moins complexe que l’assurance de sa viabilité économique et l’application de ses principes fondamentaux sur le long terme. Il faut aussi prendre en considération la jeunesse de ce modèle, qui s’est démocratisé il y a seulement une vingtaine d’années et qui verra sans nul doute de nouvelles améliorations apportées aux prochaines générations, notamment au niveau de leurs potentiels en matière de communication et de distribution.