15 mars 2011 par Sylvie.
Résumé : témoignage d’un groupe de maraîchers. Aux temps de Ceausescu l’industrie était développée et il y a avait du travail pour tout le monde. Mais, par la suite, les usines ont été vendue à des étrangers et démantelées. Certains se sont tournés vers le maraîchage afin de conserver un revenu, mais le morcellement des terres, le prix des semences et des intrants laissent peu de place pour tirer un bénéfice face à la concurrence des denrées agricoles importées.
La neige couvre encore les terres à Bratasanca, un village du département de Prahova à une centaine de kilomètres au nord de Bucarest. Conversation avec un groupe de maraichers.
Qu’est ce que vous cultivez ici ?
Des légumes. Tomates, poivrons, aubergines, concombres… Dans cette zone, on est tous des maraichers. Il y a aussi les grandes cultures de maïs, mais elles ne sont pas si importantes. Notre revenu vient des légumes. On cultive des céréales, mais seulement pour notre consommation, pour les animaux.
Il y a beaucoup de maraichers dans cette région ?
Tous cultivent, mais pas de grandes superficies. La plupart cultivent pour leur propre consommation, et ce qui reste, pour le marché, mais pas beaucoup.
Avec les serres, moi j’ai environ 2 hectares de légumes. Et à peu près deux hectares de champs.
Vous vivez de l’agriculture, ou vous avez d’autres sources de revenu ?
Seulement de l’agriculture. Avant nous avions des emplois, mais les usines ont fermé.
Ça fait à peu près 10 ans qu’elles ont fermé.
Nous avons plus de 40 ans, et c’est dur de trouver un nouveau boulot, surtout si on a eu une période sans emploi où on est resté à la maison.
Au temps de Ceaucescu, tout le monde avait un boulot. On vivait de nos boulots, et on vivait bien. C’était une politique différente.
On ne peut pas dire qu’on vivait bien, mais on était tous au même niveau… Il n’y avait pas, comme maintenant, certains riches et d’autres pauvres. C’était pas comme ça avant.
Et vous avez dit que la majorité des cultivateurs ici ont plus de 40 ans ?
Non, on parle de notre groupe.
Mais moi j’ai 31 !
Et moi 32 !
Ah, vous êtes plus jeunes que nous ? Je me suis trompée. Mais des maraichers de votre age, on peut les compter sur les doigts, dans le village.
Des jeunes, il y en a peu. Les jeunes n’aiment pas travailler en agriculture. Il ont d’autres activités. Ou ils partent à l’étranger, travailler en Espagne, en Italie.
Vous parliez du temps où l’industrie a été privatisée. Ça a été vendu à des étrangers ?
Oui, en majorité, à des investisseurs étrangers. Les roumains n’avaient pas le capital. Les étrangers sont venus avec le capital, aidé par des hommes politiques.
On leur a donné certains avantages. Tout ce qui a été vendu a été une magouille politique. Ici, le prêtre et tout le monde est mélé à la politique. T’es pas avec la politique, tu fais rien.
Les étrangers sont venus, ils ont demonté les usines et tout est parti à la feraille.
Ils les ont achetées pour 10 euros par exemple, ils en ont démonté un quart, l’ont vendu comme ferraille et ont gagné 100 euros. Le terrain et ce qu’il en restait, ils en ont fait ce qu’ils en voulaient.
Ils [le gouvernement] auraient dû imposer certaines conditions au moment où elles ont été vendues, de ne pas mettre les gens dehors, de leur donner un peu de compensation. Ceux qui sont venus de l’étranger s’en fichaient, ils ont demonté et mis les gens dehors.
Y a t’il des investisseurs étrangers dans l’agriculture en Roumanie ?
Il y en a mais peu.
Ils ont commencé à venir, mais pas ici dans cette région, jusqu’à maintenant. Il y a en dans le Baragan. Bientôt, ils viendront probablement aussi ici. On vendra nos terrains et on deviendra travailleurs sur nos terres ! [..] C’est ça la question, que peut-on faire pour ne pas en arriver à cette situation ?
Je me suis débrouillé pour acheter du terrain car je n’en avais pas assez, ou dans les terrains que j’avais, je ne pouvais pas faire de légumes car il n’y avait pas d’eau. Il a fallu travailler et économiser pour acheter du terrain, et puis après il va falloir le vendre ? Je tiens beaucoup à cette question de terre, que la terre sous mes pieds m’appartienne.
Pourquoi avez vous cette volonté de garder vos terres ?
Car c’est avec ça que l’on vit.
Indifféremment de ce qui va se passer à l’avenir, je sais que je peux au moins avoir de quoi faire du pain.
Sinon, ça voudrait dire qu’on est un peuple de 21 millions d’habitants, mais que la terre sous nos pieds ne nous appartient pas. Car il y en a beaucoup qui ont acheté en Roumanie, et beaucoup encore à l’avenir, j’en suis certaine.
J’ai discuté avec des viticulteurs en Moldavie qui m’ont raconté que leurs terrains étaient morcellés ?
On voit ça partout en Roumanie. Tu n’as pas toute ta terre dans un même endroit. Tu as une parcelle ici, une autre là-bas…
C’est basé sur les terrains qu’avaient nos grand-parents, comment ils étaient répartis après la seconde guerre mondiale.
C’est dur de travailler 3000 mètres carrés ici, 3000 là-bas.
Et ceux qui ont 3000 mètres carrés sont des cas chanceux ! Moi, j’ai… 5 parcelles. Deux de 2300, une de 3800, une de 4000, et une de 1000 mètres.
Pour la plupart, c’est comme ça.
Il y en a qui ont 2 hectares dans un même endroit. Ceux qui ont acheté ou… je ne sais pas, ils ont eu comme ça. Mais c’est seulement dans la culture des céréales, de blé ou de maïs.
Quels problèmes engendre ce morcellement des terres ?
C’est dur de les travailler. Tu n’as pas la place de rentrer avec le tracteur.
Moi par exemple, j’ai une parcelle de 3800 mètres carrés. A côté de moi, j’ai un voisin italien, qui est venu et a acheté du terrain ici. Il a 1000 mètres carrés, et il ne le cultive plus depuis 4 ou 5 ans. A quoi ça sert pour moi de mettre de l’herbicide sur mes cultures quand les mauvaises herbes poussent là-bas et leurs graines viennent sur mon terrain ? Ce n’est jamais propre chez moi !
Comment vendez-vous vos produits ?
Dans les marchés. A Bucarest, Ploiesti, Brasov. Dans les grandes villes. Ou en gros.
Vous ne gagnez pas autant quand vous vendez aux marchands en gros ?
Peut-être on vend à la moitié du prix, 50 ou 60%.
La marchandise, quand on en a vraiment beaucoup, on n’a pas où d’autre à la vendre. Il y a beaucoup de marchandise, alors on vend nos produits à des intermédiaires. Au lieu de les jeter, on préfère les vendre et gagner au moins quelque chose.
Ça leur convient, parce qu’ils ne font rien d’autre que d’acheter et de revendre. Ils n’ont aucun investissement à faire. Par contre, moi en tant que producteur, c’est très difficile. Il faut arriver à obtenir au moins ce que j’ai avancé en terme d’investissement.
Les prix de vente dépendent des périodes et du marché. Les périodes où il y a de la marchandise importée à des prix très bas, on a été obligé de les vendres en dessous de leurs prix. Ca a été une sorte de “dumping”. Qu’est-ce que tu peux faire ? Mais à d’autres périodes, on a pu vendre à des meilleurs prix. Quand les prix baissent, tu n’arrives pas à couvrir tes coûts. Les coûts ici sont élevés : les semences sont chères…
Les semences, les engrais, les pesticides, ils sont tous importés ! Ici ils sont plus chers qu’à l’étranger, à cause du coût du transport, et de la TVA. En France, il y a des instituts de recherche qui développent des semences. Une variété de tomates par exemple, les francais les achètent pour 10 euros, ici on les achète pour 15 ou 18.
Les semences traditionnelles d’ici, vous ne pouvez pas les utiliser ?
Les instituts ont été fermés.
Les semences qui restent sont très sensibles aux maladies.
Elles ne sont pas bonnes. Les semences traditionnelles, on les met seulement pour notre propre consommation, pas pour le commerce. Moi aussi je mets une centaine de plants de tomates roumaines, mais si je les récolte et je les vends le lendemain, elles ne tiennent pas. Elles ne sont pas fermes comme les tomates de semences importées.
Leurs peaux ne sont pas épaisses. Elles sont facilement périssables.
Et au marché, vous avez de la concurrence face aux produits importés ?
Oui ! Il y a beaucoup de marchandises qui viennent de Turquie, qui n’est pas dans la communauté européenne. Elles sont transportées au noir.
Des centaines de camions.
C’est une concurrence déloyale.
Et vous avez donc l’idée de monter une coopérative ensemble ici ?
Oui, on veut avoir un dépot pour stocker et sélectionner, pour de l’équipment agricole, et un petit atelier de transformation. Pour accéder à des subventions plus importantes, il faut t’associer.
Mais tout le temps, c’est l’argent qui nous bloque. Car chaque personne devrait venir avec une certaine somme d’argent. Et c’est beaucoup pour nous ici 20.000 Euros.
Les banques ne donnent pas de prêts aux agriculteurs. Une seule banque en donne, et les intérêts sont de 25%. Les intérets sont très élevés pour les agriculteurs roumains car on n’a pas de garantie. Il n’y a rien de sur. Peut-etre cette année je gagne 3 lei, l’année prochaine peut-être rien.