Agences de travail et travailleurs migrants : pour une main d’œuvre agricole flexible et peu coûteuse

 

Résumé :

 

On estime que la main d’œuvre agricole néerlandaise est fournie, au moins à 50%, par des agences de travail. Beaucoup de ces agences font venir des travailleurs de Pologne. En apparence il semble y avoir peu d’atteintes au droit du travail, mais pour se réserver une marge importante tout en proposant les prix les plus bas possibles, les agences facturent abusivement un grand nombre de services aux travailleurs, placés dans une situation de dépendance dès leur départ de Pologne.  

Un van d’agence de travail polonaise devant des serres horticoles, commune de Westland

Le recours à la sous-traitance du travail, et plus précisément le fait de faire appel aux services d’une agence de travail, est une pratique répandue sur le marché du travail néerlandais étant donné le faible niveau de régulation qui s’applique à ce type d’activité. Le secteur agricole ne fait pas exception …

Les syndicalistes estiment que dans l’agriculture néerlandaise, mais plus particulièrement au niveau de son horticulture qu’elle soit de « plein champs » ou sous serres, plus de la moitié de la main d’œuvre est fournie par le biais des agences de travail. La prédominance est même plus importante dans le second type d’horticulture. De plus, les agences ne sont pas uniquement néerlandaises, mais bien de différentes nationalités européennes. Néanmoins dans le secteur agricole[i], elles sont avant tout polonaises, mais aussi roumaines, portugaises, bulgares ou encore estoniennes. Une discussion fortuite avec des travailleurs agricoles roumains, qui ont été recrutés dans leur pays par une agence lettonienne et tout juste « embauchés » par un serriste producteur de tomates, a permis de réaliser l’importance de ce phénomène. Mais pourquoi une telle diversité, principalement orientée vers l’Europe de l’Est, et plus particulièrement vers les travailleurs polonais ?

Il semblerait que la faible régulation de l’activité des agences de travail sur le territoire néerlandais, mais aussi les différences de niveaux de vie entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest, ainsi que le besoin en main d’œuvre flexible et bon marché, pour du travail peu qualifié, constituent des pistes d’explications.

Un phénomène néerlandais empreint de l’ouverture de l’Europe à l’Est ?

D’un côté, les différences de niveau de vie entre l’Est et l’Ouest sont importantes. Mais plus que cela, ce sont les différences en termes d’opportunités de rémunération qui attirent principalement les travailleurs Polonais aux Pays-Bas. Elles s’établissent ainsi dans un rapport allant de 1485 euros par mois pour une personne de plus de 23 ans contre 393 pour le salaire minimum Polonais (d’après le site http://www.touteleurope.eu/actualite/le-salaire-minimum-en-europe.html). Le salaire minimum néerlandais est un des plus importants d’Europe[ii] et sa proximité géographique en fait une destination phare de l’immigration polonaise. De plus, une partie des travailleurs polonais ont pu dès la création de l’Europe accéder au marché commun du travail, étant originaire des régions frontalières de Silésie, auparavant Allemande. Les habitants étaient donc en mesure de justifier d’une nationalité allemande et ont pu obtenir des passeports allemands. Dès lors le fonctionnement d’un réseau a pu se mettre en place. À cela s’ajoute enfin la présence d’un taux de chômage élevé en Pologne. Le secteur agricole néerlandais dépendrait alors selon les estimations à 80-85% des travailleurs polonais : « at this time, 85% of migrant workers in the agricultural sector are polish, and 5% of romanian and bulgarian, and 1% from Spain or Portugal » (syndicaliste du CNV).

Les agences de travail des pays de l’Est disposent également d’un avantage certain par rapport à leurs homologues néerlandaises : elles sont soumises à la réglementation minimum en terme de rémunération tout comme les agences de travail néerlandaises, mais contrairement à celles-ci elles versent (quand elles le font) les cotisations sociales de leurs employés dans leur pays d’origine. En effet, dans le cas où les travailleurs recrutés par une agence de travail étrangère ne sont présents que temporairement sur le territoire, ils restent éligibles au système d’assurance sociale de leur pays, mais « l’employeur » doit néanmoins fournir une attestation A1 prouvant cette affiliation. Ceci représente donc un avantage certain quand on connaît les différences de niveaux de vie. Le payement des cotisations sociales se fait donc sur la base du salaire minimum du pays d’origine des travailleurs, mais bien souvent il n’est même pas effectif. De plus, l’obtention d’une déclaration A1 est facilitée par la rémunération qu’elle procure à l’Etat émetteur et par la crédulité du pays receveur : en Pologne par exemple, ce service est payant et les services publics néerlandais n’ont à priori pas de réelles raisons de vérifier l’effectivité de la déclaration A1 étant donné que celle-ci est émise par les pouvoirs publics d’un pays européen. Toutefois, cela permet aux agences de travail étrangères de proposer une main d’œuvre flexible à un prix réduit (par rapport aux agences néerlandaises, qui payent alors plus de cotisations sociales patronales) mais une fois de plus aux détriments des droits des travailleurs qui se retrouvent alors fréquemment dépourvus d’accès aux systèmes d’assurance sociale, que ce soit dans le pays de détachement ou le pays d’origine.

Ensuite, la faible régulation de l’activité des agences de travail encourage le développement de leur activité. Un simple enregistrement auprès de la chambre de commerce et le payement des taxes de personnel permettent à quiconque de gérer une telle activité commerciale. Et tant qu’agence basée à l’étranger mais opérant sur le territoire néerlandais, il sera nécessaire d’établir clairement l’identité des travailleurs recrutés et les rémunérés à hauteur du salaire minimum. En outre, l’espace économique européen commun aux pays membres autorise et facilite également le développement de filiales dans certains pays de l’Est afin d’organiser le recrutement de cette main d’œuvre particulièrement volontaire.

Bien sûr, d’autres secteurs comme la construction sont concernés par la sous-traitance du travail, mais l’agriculture est particulièrement représentée. Le rapport Lura affirme qu’en 2011, les migrants travaillant aux Pays-Bas sont à près de 90% (tout secteur confondu) fournis par des agences de travail, mais principalement pour du travail temporaire dans le secteur agricole[iii].

Aussi la main d’œuvre agricole est particulièrement recherchée aux Pays-Bas. Les producteurs attestent des difficultés à trouver des travailleurs néerlandais : la dimension temporaire, saisonnière des contrats, les rémunérations plutôt faibles qui y sont associées n’attirent pas les nationaux. Certains producteurs embauchent des étudiants, mais même ceux-ci préfèrent occuper un poste dans un supermarché, présentant à priori une moindre pénibilité pour une rémunération équivalente. En outre, il semblerait également que le besoin d’une main d’œuvre peu coûteuse explique aussi l’utilisation d’une main d’œuvre migrante.

Une main d’œuvre flexible et à bas prix ?

Ainsi, l’ensemble des conditions d’établissement d’un marché du travail spécialisé dans une main d’œuvre saisonnière, migrante et flexible semble être réunis. Mais faut-il encore pouvoir satisfaire aux exigences de réduction des coûts de productions agricoles afin d’être en mesure de faire face à la concurrence européenne, pour un pays dont la production horticole et la réussite économique nationale qui en dépend est largement orientée vers l’extérieur. En effet, les Pays-Bas sont le second exportateur mondial de produits agricoles, derrière les Etats-Unis.

Des pratiques légales

L’activité des agences de travail semble alors trouver une place particulièrement importante aux Pays-Bas. Celles-ci permettent en effet d’assurer un « approvisionnement » certain en main d’œuvre flexible et peu coûteuse. Les ressorts des agences en termes de flexibilité découlent de la régulation et de l’essence même de leur activité. Proposer des contrats flexibles est leur raison d’être. Le niveau de flexibilité des travailleurs qui peut être ainsi atteint par ce biais s’établit alors plus sur une échelle hebdomadaire, mais bien journalière, voire même horaire: « they promised me a contract for more than 40 hours per week … but with the contract I signed here, I can work for a minimum of 15 hours to 40 hours per week, and even more … » ; « Sometimes it happens that there is no work, it depends on the company … it happens you work only one day per week … » (personnes travaillant pour une agence de travail polonaise dans la partie nord de la région Limburg). Les agences peuvent en effet déployer des ouvriers chez les producteurs pour un minimum de 3 heures par jour, sans obligations de proposer des tâches chaque jour. Les producteurs agricoles peuvent ainsi pleinement ajuster l’utilisation du facteur travail à leur besoin, et donc aussi ajuster leurs coûts de production au strict minimum.

Bien sûr cette flexibilité à un prix. Environ 15 euros de l’heure en moyenne. Mais comme l’affirme un syndicaliste, « it’s a free market », la compétition que ce livre les agences de travail afin de remporter des parts de marché et de fournir une main d’œuvre bon marché aux producteurs permet à ces derniers de disposer finalement d’une main d’œuvre flexible à un prix « raisonnable ». En effet, les agences ne manquent pas étant donné qu’il n’y a pas réellement de barrières à l’entrée sur ce marché (cf faible régulation, si ce n’est peut-être la possibilité de fournir des travailleurs à un prix horaire faible), de même que la main d’œuvre est abondante (les migrants fuient des perspectives économiques négatives). La question qui se pose alors est de savoir comment ces agences parviennent à réduire le coût de cette main d’œuvre, c’est-à-dire à proposer aux producteurs un prix horaire pour le recours à un travailleur, en dessous de ces 15 euros ? Une fois encore, le prix proposé ne reflète pas la réalité des coûts d’emplois de la main d’œuvre.

Comment faire pour proposer une main d’œuvre peu coûteuse aux producteurs agricoles ? Les agences de travail disposent pour cela de divers moyens, plus ou moins légaux …

Parmi les moyens légaux se retrouve le détachement de travailleurs en provenance des pays de l’Est. Cependant, ceci s’applique moins aux agences de travail, sauf si celles-ci sont spécialisées dans le secteur agricole. Elles peuvent alors opérer par le biais de contrat avec les producteurs, par exemple pour la réalisation de la récolte. Le travail reste alors supervisé par l’agence. L’avantage est que les travailleurs restent rémunérés sur la base du niveau de salaire (souvent le minimum légal) du pays d’origine et que les cotisations sociales patronales sont établies sur cette même base, et y sont également moins importantes proportionnellement.

Dans la même perspective, le fait de ne pas avoir à rémunérer les jours et les heures non travaillées permet dans une certaine mesure de réduire le coût du travailleur. L’ouvrier est en fait rémunéré au nombre d’heures qu’il réalise et qui peuvent être réparti de manière aléatoire entre 15 et 40 heures par semaines. C’est un moyen dont ne disposent pas les producteurs, qui sont légalement obligés de fournir à minima des contrats sans interruption de travail mis à part pour les jours de repos obligatoire. Il semble que ce soit là les seules marges de manœuvres légales dont disposent les agences de travail pour proposer une main d’œuvre peu coûteuse aux producteurs.

Parallèlement à cela, les pratiques s’inscrivant dans une dimension illégale sont présentes et permettent d’atteindre cet objectif de réduction du coût de la main d‘œuvre agricole. Le principe est finalement le même que pour les producteurs employant directement de la main d’œuvre et souhaitant diminuer le coût du facteur travail : récupérer par divers moyens l’argent versée aux salaires des travailleurs. Dans cette perspective, les agences créer un ensemble de services facilitant la migration des travailleurs, et tentent au maximum de contraindre les travailleurs à y avoir recours. Une exploration des pratiques permet de mieux comprendre les principes de ce mode opératoire.

La dépendance des travailleurs au cœur des stratégies des agences de travail

Afin donc de contraindre au maximum les travailleurs migrants, les agences de travail proposent d’abord ce qu’il est possible de qualifier de « total packages » : lors du recrutement, elles proposent aux travailleurs d’organiser l’ensemble du processus de migration, c’est-à-dire le transport aux Pays-Bas, le logement sur place, le transport sur le lieu de travail, l’approvisionnement en nourriture, l’assurance néerlandaise obligatoire, parfois même l’approvisionnement alimentaire lui-même etc … Ainsi, les travailleurs migrants se retrouvent dans une dépendance presque totale vis-à-vis de l’agence de travail qui les « emplois ». Une telle organisation peut apparaître séduisante et pratique pour des travailleurs qui bien souvent viennent pour la première fois aux Pays-Bas, et ne connaissent que peu, voire pas du tout la langue. De plus, s’ils perdent leur emploi, ils perdent également leur logement …

Une fois ceux-ci « captifs » donc, elles peuvent alors utiliser les divers services proposés aux travailleurs dans le but de récupérer l’argent versé sur leur salaire, et ainsi diminuer le coût de chaque travailleur. Ces moyens deviennent illicites quand les prix des services proposés dépassent les maximums fixés (quand ils existent, comme pour le payement d’un loyer par exemple). Les travailleurs migrants n’ont alors pas d’autres alternatives : bien souvent les lieux de logement sont situés à l’écart de tout, et un moyen de locomotion est alors nécessaire pour s’approvisionner en nourriture. Soit l’agence organise le transport, soit elle met à disposition le moyen de locomotion, ou encore la nourriture, mais à des prix dépassant toute logique : “ the principle is to organize the things as much as possible to keep people in a kind of captivity, with housing, payment, in keeping their passeport …” (Wim Baltussen, FNV Bondgenoten); “The wages is in the most time good, but they take the money otherwise, for instance with houses, driving to the workplace etc .. the maximum for housing is 70 euros in one weeks, and by agencies is usually between 75 and 125 euros by week. We have one, a big one, where it’s 220 euros every week for the house. And for this price it’s only one room for 3 people. […]. People have to pay for the driving to the work place and this is illegal in the agricultural sector. With another agency, migrant workers have to pay 5 euros for the transport as they go by foot, and by car it’s 230 euros. Agencies pick up old bikes and people have to pay 50 euros for the bike by week … people pay also too much for the dutch insurance” (syndicaliste du CNV).

Les agences de travail vont même plus loin que cela pour tenter de récupérer l’argent du salaire des travailleurs. Elles mettent en effet en place des règlements abusifs concernant l’utilisation des services proposés et déjà payant. Ceci s’avère souvent être le cas avec  logement, ou encore avec l’utilisation des véhicules des agences. La seule limite reste la créativité des personnes qui en sont à l’origine : « … on camping sites, in poles’ hotels, it’s the same … If you don’t pick the phone or if windows are not closed, they fined you » (Hanka Mongard, Fair Work) ; “ the camping site looked good, there was no problem with housing … so I wonder what’s going on ? What happens is that after people have been here for 2 weeks, they inspect the housing and then give fines of 250 euros to the 4 or 5 people living in if there something wrong with their rules ” (syndicaliste du FNV Bondgenoten). Car en effet, dans certains logement il est possible de trouver des règlements affichés et écris en polonais, ce qui permet aux agences de ne pas être inquiétées par d’éventuels contrôles et d’obtenir quand même des certifications pour les logements fournis aux travailleurs migrants. Certifications qui d’ailleurs ne prennent pas en compte ce genre de recours dans les processus d’audits.

Et quand ces moyens ne sont pas utilisés pour réduire le coût d’emploi de la main d’œuvre, ils servent à se « débarrasser » des ouvriers de trop ou qui posent problème en cherchant à faire respecter leurs droits. L’offre de travail étant bien souvent supérieur à la demande, cela accentue la pression à la baisse sur les conditions de travail : le besoin d’activités rémunérées pour vivre contraint les migrants à accepter des conditions toujours plus dégradées car ils savent que s’ils refusent, un autre prendra leur place : « le fait que beaucoup de gens viennent pour travailler ici entraîne une diminution du prix du travail … les gens sont alors obligés d’accepter des conditions de travail toujours pires parce que sinon ils n’ont pas de travail … ils n’ont pas le choix » (Volontaire du point d’information aux migrants du FNV à Rotterdam).

D’une manière générale, tous les moyens sont bons pour recouvrer l’argent versé aux migrants : « It’s promised work for forty hours by week but sometimes they work just for two days a week and they have to pay houses, or make long hours that are not paid, or agencies don’t pay for vacation time » (Hanka Mongard Fair Work) ; « It’s a constant rob … they rob people before they coming with the transport here, during the work with different means like housing, transportation, fines … and also after as when they are fired they have to pay for the so called “speedbus”  [le bus qui ramène les travailleurs migrants dans leur pays d’origine] » (syndicaliste du FNV Bondgenoten). Elles tirent également profit de ces travailleurs étrangers en dupant les autorités de contrôle, en établissant parfois deux contrats de travail signés: un dans chaque langue, mais qui diffèrent. Ce moyen permet à l’agence d’accroître la dimension flexible du contrat proposé au travailleur, dans sa langue maternelle, tout en étant couverte légalement par le contrat établi en néerlandais et vérifié par les autorités, qui lui respecte les conditions minimales légales.

Il faut notamment avoir à l’esprit que certaines vont même encore plus loin dans l’exploitation des travailleurs. Certaines d’entre-elles font travailler les migrants, mais n’envisagent pas de les rémunérer. Et si ces derniers se manifestent pour réclamer ce qui leur est dû, les agences se déclarent en faillite afin de ne pas avoir à payer les travailleurs : « Here Job agencies go to bankrupt and restart. It’s really good for them, and this biggest problem is in every sector. It’s really easy to start an agency … it’s a free market: you hire people put them to work, and if they ask money you go to bankrupt and you don’t pay wages. And you can restart a new agency the next year … » (une employée de Fair Work).

Bien sûr, toutes les agences de travail intervenant dans le secteur agricole ne s’inscrivent pas dans de telles pratiques, et un certain nombre d’entre elles sont tout à fait honnêtes. De même, certains de ces « mécanismes de réduction du prix de la main d’œuvre » peuvent et sont également utilisés par les producteurs. C’est particulièrement le cas avec le logement, la nourriture, etc … et plus généralement avec les éléments qui renforce la dépendance des travailleurs dans sa relation avec l’employeur.

Des facteurs aggravants ?

Ces situations d’exploitations et d’abus des travailleurs migrants sont néanmoins renforcées par plusieurs facteurs. D’abord, le fait que la plupart des travailleurs migrants employés viennent pour la première fois aux Pays-Bas, et ne connaissent pas forcément tous leurs droits. Même si les réseaux et l’expérience de migrants retournés dans leur pays permettent à certains d’éviter la fausse facilité des agences de travail, ce n’est pas le cas de tous. Il faut également garder en tête que le besoin d’argent est important, et que les travailleurs sont particulièrement recrutés dans des zones où le taux de chômage est important (Silésie, et région d’Opole en Pologne par exemple), et qu’ils ne conçoivent pas de pouvoir retourner chez eux sans argent.

À cela s’ajoute les difficultés de communication et de recherche d’informations associées au manque de maîtrise de la langue. Même si les contrats sont souvent traduits dans la langue maternelle des travailleurs, il n’est pas rare qu’ils diffèrent des conditions promis lors du recrutement : « I was recruited for more than 40 hours per weeks, but when I arrived here, I signed a contract for a minimum of 15hours » (étudiante polonaise embauchée avec un contrat de travail saisonnier).

En outre, les différences de niveau de vie sont importantes entre les Pays-Bas et certains pays européens. Cela a été abordé dans le cas de la Pologne. Mais ces faibles niveaux de vie se retrouvent également dans d’autres pays. Par exemple, au Portugal, le salaire minimum légal est seulement de 480 euros par mois, pour un niveau de prix moyen qui semble équivalent à celui des Pays-Bas : « In Portugal, the minimum wage is 480 euros per month, but prices fo food are the same that here ! Sometimes, it’s a kind of struggle for people to get in the end of the month » (Un travail portugais travaillant dans le secteur agricole néerlandais depuis 2011). Ceci a donc tendance à assurer de manière assez certaine « l’approvisionnement » toujours renouvelé en travailleurs migrants, et ne facilite pas la lutte contre les mauvaises pratiques.

Il est possible d’ajouter aux facteurs aggravants la dimension temporaire et de court terme des schémas de migrations dans lesquels s’inscrivent bien souvent les travailleurs migrants, étant donné la dimension saisonnière des travaux agricoles pour lesquels ils sont employés. À cela s’ajoute aussi le fait qu’ils viennent avant tout pour gagner de l’argent et que les procédures visant à poursuivre les employeurs sans scrupules sont longues et coûteuses, et nécessitent des preuves qui sont souvent difficiles à récupérer.

Finalement, l’ensemble de ces éléments pris simultanément font que toute implication des travailleurs dans un processus d’affirmation de leurs droits reste limitées, de même donc que la lutte contre les mauvaises pratiques.

 


[i]Et il ne s’agit là que d’agence de travail appliquant la régulation minimum et opérant dans le secteur agricole :http://www.normeringarbeid.nl/keurmerk/gecertificeerdeondernemingen/gecertificeerde-ondernemingen.aspx

[ii]Le troisième au niveau européen.

[iii]Le rapport est disponible à l’adresse suivante : http://www.tweedekamer.nl/images/Eindrapport_Tijdelijke_commissie_Lessen_uit_recente_arbeidsmigratie_181-228856.pdf

Le recours à la sous-traitance du travail, et plus précisément le fait de faire appel aux services d’une agence de travail, est une pratique répandue sur le marché du travail néerlandais étant donné le faible niveau de régulation qui s’applique à ce type d’activité. Le secteur agricole ne fait pas exception …

Les syndicalistes estiment que dans l’agriculture néerlandaise, mais plus particulièrement au niveau de son horticulture qu’elle soit de « plein champs » ou sous serres, plus de la moitié de la main d’œuvre est fournie par le biais des agences de travail. La prédominance est même plus importante dans le second type d’horticulture. De plus, les agences ne sont pas uniquement néerlandaises, mais bien de différentes nationalités européennes. Néanmoins dans le secteur agricole[i], elles sont avant tout polonaises, mais aussi roumaines, portugaises, bulgares ou encore estoniennes. Une discussion fortuite avec des travailleurs agricoles roumains, qui ont été recrutés dans leur pays par une agence lettonienne et tout juste « embauchés » par un serriste producteur de tomates, a permis de réaliser l’importance de ce phénomène. Mais pourquoi une telle diversité, principalement orientée vers l’Europe de l’Est, et plus particulièrement vers les travailleurs polonais ?

Il semblerait que la faible régulation de l’activité des agences de travail sur le territoire néerlandais, mais aussi les différences de niveaux de vie entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest, ainsi que le besoin en main d’œuvre flexible et bon marché, pour du travail peu qualifié, constituent des pistes d’explications.

Un phénomène néerlandais empreint de l’ouverture de l’Europe à l’Est ?

D’un côté, les différences de niveau de vie entre l’Est et l’Ouest sont importantes. Mais plus que cela, ce sont les différences en termes d’opportunités de rémunération qui attirent principalement les travailleurs Polonais aux Pays-Bas. Elles s’établissent ainsi dans un rapport allant de 1485 euros par mois pour une personne de plus de 23 ans contre ( ? donner le montant exact) pour le salaire minimum Polonais. Le salaire minimum néerlandais est un des plus importants d’Europe[ii] et sa proximité géographique en fait une destination phare de l’immigration polonaise. De plus, une partie des travailleurs polonais ont pu dès la création de l’Europe accéder au marché commun du travail, étant originaire des régions frontalières de Silésie, auparavant Allemande. Les habitants étaient donc en mesure de justifier d’une nationalité allemande et ont pu obtenir des passeports allemands. Dès lors le fonctionnement d’un réseau a pu se mettre en place. À cela s’ajoute enfin la présence d’un taux de chômage élevé en Pologne. Le secteur agricole néerlandais dépendrait alors selon les estimations à 80-85% des travailleurs polonais : « at this time, 85% of migrant workers in the agricultural sector are polish, and 5% of romanian and bulgarian, and 1% from Spain or Portugal » (Henry Stroek, CNV).

Les agences de travail des pays de l’Est disposent également d’un avantage certain par rapport à leurs homologues néerlandaises : elles sont soumises à la réglementation minimum en terme de rémunération tout comme les agences de travail néerlandaises, mais contrairement à celles-ci elles versent (quand elles le font) les cotisations sociales de leurs employés dans leur pays d’origine. En effet, dans le cas où les travailleurs recrutés par une agence de travail étrangère ne sont présents que temporairement sur le territoire, ils restent éligibles au système d’assurance sociale de leur pays, mais « l’employeur » doit néanmoins fournir une attestation A1 prouvant cette affiliation. Ceci représente donc un avantage certain quand on connaît les différences de niveaux de vie. Le payement des cotisations sociales se fait donc sur la base du salaire minimum du pays d’origine des travailleurs, mais bien souvent il n’est même pas effectif. De plus, l’obtention d’une déclaration A1 est facilitée par la rémunération qu’elle procure à l’Etat émetteur et par la crédulité du pays receveur : en Pologne par exemple, ce service est payant et les services publics néerlandais n’ont à priori pas de réelles raisons de vérifier l’effectivité de la déclaration A1 étant donné que celle-ci est émise par les pouvoirs publics d’un pays européen. Toutefois, cela permet aux agences de travail étrangères de proposer une main d’œuvre flexible à un prix réduit (par rapport aux agences néerlandaises, qui payent alors plus de cotisations sociales patronales) mais une fois de plus aux détriments des droits des travailleurs qui se retrouvent alors fréquemment dépourvus d’accès aux systèmes d’assurance sociale, que ce soit dans le pays de détachement ou le pays d’origine.

Ensuite, la faible régulation de l’activité des agences de travail encourage le développement de leur activité. Un simple enregistrement auprès de la chambre de commerce et le payement des taxes de personnel permettent à quiconque de gérer une telle activité commerciale. Et tant qu’agence basée à l’étranger mais opérant sur le territoire néerlandais, il sera nécessaire d’établir clairement l’identité des travailleurs recrutés et les rémunérés à hauteur du salaire minimum. En outre, l’espace économique européen commun aux pays membres autorise et facilite également le développement de filiales dans certains pays de l’Est afin d’organiser le recrutement de cette main d’œuvre particulièrement volontaire.

Bien sûr, d’autres secteurs comme la construction sont concernés par la sous-traitance du travail, mais l’agriculture est particulièrement représentée. Le rapport Lura affirme qu’en 2011, les migrants travaillant aux Pays-Bas sont à près de 90% (tout secteur confondu) fournis par des agences de travail, mais principalement pour du travail temporaire dans le secteur agricole[iii].

Aussi la main d’œuvre agricole est particulièrement recherchée aux Pays-Bas. Les producteurs attestent des difficultés à trouver des travailleurs néerlandais : la dimension temporaire, saisonnière des contrats, les rémunérations plutôt faibles qui y sont associées n’attirent pas les nationaux. Certains producteurs embauchent des étudiants, mais même ceux-ci préfèrent occuper un poste dans un supermarché, présentant à priori une moindre pénibilité pour une rémunération équivalente. En outre, il semblerait également que le besoin d’une main d’œuvre peu coûteuse explique aussi l’utilisation d’une main d’œuvre migrante.

Une main d’œuvre flexible et à bas prix ?

Ainsi, l’ensemble des conditions d’établissement d’un marché du travail spécialisé dans une main d’œuvre saisonnière, migrante et flexible semble être réunis. Mais faut-il encore pouvoir satisfaire aux exigences de réduction des coûts de productions agricoles afin d’être en mesure de faire face à la concurrence européenne, pour un pays dont la production horticole et la réussite économique nationale qui en dépend est largement orientée vers l’extérieur. En effet, les Pays-Bas sont le second exportateur mondial de produits agricoles, derrière les Etats-Unis.

Des pratiques légales

L’activité des agences de travail semble alors trouver une place particulièrement importante aux Pays-Bas. Celles-ci permettent en effet d’assurer un « approvisionnement » certain en main d’œuvre flexible et peu coûteuse. Les ressorts des agences en termes de flexibilité découlent de la régulation et de l’essence même de leur activité. Proposer des contrats flexibles est leur raison d’être. Le niveau de flexibilité des travailleurs qui peut être ainsi atteint par ce biais s’établit alors plus sur une échelle hebdomadaire, mais bien journalière, voire même horaire: « they promised me a contract for more than 40 hours per week … but with the contract I signed here, I can work for a minimum of 15 hours to 40 hours per week, and even more … » ; « Sometimes it happens that there is no work, it depends on the company … it happens you work only one day per week … » (personnes travaillant pour une agence de travail polonaise dans la partie nord de la région Limburg). Les agences peuvent en effet déployer des ouvriers chez les producteurs pour un minimum de 3 heures par jour, sans obligations de proposer des tâches chaque jour. Les producteurs agricoles peuvent ainsi pleinement ajuster l’utilisation du facteur travail à leur besoin, et donc aussi ajuster leurs coûts de production au strict minimum.

Bien sûr cette flexibilité à un prix. Environ 15 euros de l’heure en moyenne. Mais comme l’affirme un syndicaliste, « it’s a free market », la compétition que ce livre les agences de travail afin de remporter des parts de marché et de fournir une main d’œuvre bon marché aux producteurs permet à ces derniers de disposer finalement d’une main d’œuvre flexible à un prix « raisonnable ». En effet, les agences ne manquent pas étant donné qu’il n’y a pas réellement de barrières à l’entrée sur ce marché (cf faible régulation, si ce n’est peut-être la possibilité de fournir des travailleurs à un prix horaire faible), de même que la main d’œuvre est abondante (les migrants fuient des perspectives économiques négatives). La question qui se pose alors est de savoir comment ces agences parviennent à réduire le coût de cette main d’œuvre, c’est-à-dire à proposer aux producteurs un prix horaire pour le recours à un travailleur, en dessous de ces 15 euros ? Une fois encore, le prix proposé ne reflète pas la réalité des coûts d’emplois de la main d’œuvre.

Comment faire pour proposer une main d’œuvre peu coûteuse aux producteurs agricoles ? Les agences de travail disposent pour cela de divers moyens, plus ou moins légaux …

Parmi les moyens légaux se retrouve le détachement de travailleurs en provenance des pays de l’Est. Cependant, ceci s’applique moins aux agences de travail, sauf si celles-ci sont spécialisées dans le secteur agricole. Elles peuvent alors opérer par le biais de contrat avec les producteurs, par exemple pour la réalisation de la récolte. Le travail reste alors supervisé par l’agence. L’avantage est que les travailleurs restent rémunérés sur la base du niveau de salaire (souvent le minimum légal) du pays d’origine et que les cotisations sociales patronales sont établies sur cette même base, et y sont également moins importantes proportionnellement.

Dans la même perspective, le fait de ne pas avoir à rémunérer les jours et les heures non travaillées permet dans une certaine mesure de réduire le coût du travailleur. L’ouvrier est en fait rémunéré au nombre d’heures qu’il réalise et qui peuvent être réparti de manière aléatoire entre 15 et 40 heures par semaines. C’est un moyen dont ne disposent pas les producteurs, qui sont légalement obligés de fournir à minima des contrats sans interruption de travail mis à part pour les jours de repos obligatoire. Il semble que ce soit là les seules marges de manœuvres légales dont disposent les agences de travail pour proposer une main d’œuvre peu coûteuse aux producteurs.

Parallèlement à cela, les pratiques s’inscrivant dans une dimension illégale sont présentes et permettent d’atteindre cet objectif de réduction du coût de la main d‘œuvre agricole. Le principe est finalement le même que pour les producteurs employant directement de la main d’œuvre et souhaitant diminuer le coût du facteur travail : récupérer par divers moyens l’argent versée aux salaires des travailleurs. Dans cette perspective, les agences créer un ensemble de services facilitant la migration des travailleurs, et tentent au maximum de contraindre les travailleurs à y avoir recours. Une exploration des pratiques permet de mieux comprendre les principes de ce mode opératoire.

La dépendance des travailleurs au cœur des stratégies des agences de travail

Afin donc de contraindre au maximum les travailleurs migrants, les agences de travail proposent d’abord ce qu’il est possible de qualifier de « total packages » : lors du recrutement, elles proposent aux travailleurs d’organiser l’ensemble du processus de migration, c’est-à-dire le transport aux Pays-Bas, le logement sur place, le transport sur le lieu de travail, l’approvisionnement en nourriture, l’assurance néerlandaise obligatoire, parfois même l’approvisionnement alimentaire lui-même etc … Ainsi, les travailleurs migrants se retrouvent dans une dépendance presque totale vis-à-vis de l’agence de travail qui les « emplois ». Une telle organisation peut apparaître séduisante et pratique pour des travailleurs qui bien souvent viennent pour la première fois aux Pays-Bas, et ne connaissent que peu, voire pas du tout la langue. De plus, s’ils perdent leur emploi, ils perdent également leur logement …

Une fois ceux-ci « captifs » donc, elles peuvent alors utiliser les divers services proposés aux travailleurs dans le but de récupérer l’argent versé sur leur salaire, et ainsi diminuer le coût de chaque travailleur. Ces moyens deviennent illicites quand les prix des services proposés dépassent les maximums fixés (quand ils existent, comme pour le payement d’un loyer par exemple). Les travailleurs migrants n’ont alors pas d’autres alternatives : bien souvent les lieux de logement sont situés à l’écart de tout, et un moyen de locomotion est alors nécessaire pour s’approvisionner en nourriture. Soit l’agence organise le transport, soit elle met à disposition le moyen de locomotion, ou encore la nourriture, mais à des prix dépassant toute logique : “ the principle is to organize the things as much as possible to keep people in a kind of captivity, with housing, payment, in keeping their passeport …” (Wim Baltussen, FNV Bondgenoten); “The wages is in the most time good, but they take the money otherwise, for instance with houses, driving to the workplace etc .. the maximum for housing is 70 euros in one weeks, and by agencies is usually between 75 and 125 euros by week. We have one, a big one, where it’s 220 euros every week for the house. And for this price it’s only one room for 3 people. […]. People have to pay for the driving to the work place and this is illegal in the agricultural sector. With another agency, migrant workers have to pay 5 euros for the transport as they go by foot, and by car it’s 230 euros. Agencies pick up old bikes and people have to pay 50 euros for the bike by week … people pay also too much for the dutch insurance” (Henry Stroek, CNV).

Les agences de travail vont même plus loin que cela pour tenter de récupérer l’argent du salaire des travailleurs. Elles mettent en effet en place des règlements abusifs concernant l’utilisation des services proposés et déjà payant. Ceci s’avère souvent être le cas avec  logement, ou encore avec l’utilisation des véhicules des agences. La seule limite reste la créativité des personnes qui en sont à l’origine : « … on camping sites, in poles’ hotels, it’s the same … If you don’t pick the phone or if windows are not closed, they fined you » (Hanka Mongard, Fair Work) ; “ the camping site looked good, there was no problem with housing … so I wonder what’s going on ? What happens is that after people have been here for 2 weeks, they inspect the housing and then give fines of 250 euros to the 4 or 5 people living in if there something wrong with their rules ” (Bart Plaatje, FNV Bondgenoten). Car en effet, dans certains logement il est possible de trouver des règlements affichés et écris en polonais, ce qui permet aux agences de ne pas être inquiétées par d’éventuels contrôles et d’obtenir quand même des certifications pour les logements fournis aux travailleurs migrants. Certifications qui d’ailleurs ne prennent pas en compte ce genre de recours dans les processus d’audits.

Et quand ces moyens ne sont pas utilisés pour réduire le coût d’emploi de la main d’œuvre, ils servent à se « débarrasser » des ouvriers de trop ou qui posent problème en cherchant à faire respecter leurs droits. L’offre de travail étant bien souvent supérieur à la demande, cela accentue la pression à la baisse sur les conditions de travail : le besoin d’activités rémunérées pour vivre contraint les migrants à accepter des conditions toujours plus dégradées car ils savent que s’ils refusent, un autre prendra leur place : « le fait que beaucoup de gens viennent pour travailler ici entraîne une diminution du prix du travail … les gens sont alors obligés d’accepter des conditions de travail toujours pires parce que sinon ils n’ont pas de travail … ils n’ont pas le choix » (Volontaire du point d’information aux migrants du FNV à Rotterdam).

D’une manière générale, tous les moyens sont bons pour recouvrer l’argent versé aux migrants : « It’s promised work for forty hours by week but sometimes they work just for two days a week and they have to pay houses, or make long hours that are not paid, or agencies don’t pay for vacation time » (Hanka Mongard Fair Work) ; « It’s a constant rob … they rob people before they coming with the transport here, during the work with different means like housing, transportation, fines … and also after as when they are fired they have to pay for the so called “speedbus”  [le bus qui ramène les travailleurs migrants dans leur pays d’origine] » (Bart Plaatje, FNV). Elles tirent également profit de ces travailleurs étrangers en dupant les autorités de contrôle, en établissant parfois deux contrats de travail signés: un dans chaque langue, mais qui diffèrent. Ce moyen permet à l’agence d’accroître la dimension flexible du contrat proposé au travailleur, dans sa langue maternelle, tout en étant couverte légalement par le contrat établi en néerlandais et vérifié par les autorités, qui lui respecte les conditions minimales légales.

Il faut notamment avoir à l’esprit que certaines vont même encore plus loin dans l’exploitation des travailleurs. Certaines d’entre-elles font travailler les migrants, mais n’envisagent pas de les rémunérer. Et si ces derniers se manifestent pour réclamer ce qui leur est dû, les agences se déclarent en faillite afin de ne pas avoir à payer les travailleurs : « Here Job agencies go to bankrupt and restart. It’s really good for them, and this biggest problem is in every sector. It’s really easy to start an agency … it’s a free market: you hire people put them to work, and if they ask money you go to bankrupt and you don’t pay wages. And you can restart a new agency the next year … » (une employée de Fair Work).

Bien sûr, toutes les agences de travail intervenant dans le secteur agricole ne s’inscrivent pas dans de telles pratiques, et un certain nombre d’entre elles sont tout à fait honnêtes. De même, certains de ces « mécanismes de réduction du prix de la main d’œuvre » peuvent et sont également utilisés par les producteurs. C’est particulièrement le cas avec le logement, la nourriture, etc … et plus généralement avec les éléments qui renforce la dépendance des travailleurs dans sa relation avec l’employeur.

Des facteurs aggravants ?

Ces situations d’exploitations et d’abus des travailleurs migrants sont néanmoins renforcées par plusieurs facteurs. D’abord, le fait que la plupart des travailleurs migrants employés viennent pour la première fois aux Pays-Bas, et ne connaissent pas forcément tous leurs droits. Même si les réseaux et l’expérience de migrants retournés dans leur pays permettent à certains d’éviter la fausse facilité des agences de travail, ce n’est pas le cas de tous. Il faut également garder en tête que le besoin d’argent est important, et que les travailleurs sont particulièrement recrutés dans des zones où le taux de chômage est important (Silésie, et région d’Opole en Pologne par exemple), et qu’ils ne conçoivent pas de pouvoir retourner chez eux sans argent.

À cela s’ajoute les difficultés de communication et de recherche d’informations associées au manque de maîtrise de la langue. Même si les contrats sont souvent traduits dans la langue maternelle des travailleurs, il n’est pas rare qu’ils diffèrent des conditions promis lors du recrutement : « I was recruited for more than 40 hours per weeks, but when I arrived here, I signed a contract for a minimum of 15hours » (étudiante polonaise embauchée avec un contrat de travail saisonnier).

En outre, les différences de niveau de vie sont importantes entre les Pays-Bas et certains pays européens. Cela a été abordé dans le cas de la Pologne. Mais ces faibles niveaux de vie se retrouvent également dans d’autres pays. Par exemple, au Portugal, le salaire minimum légal est seulement de 480 euros par mois, pour un niveau de prix moyen qui semble équivalent à celui des Pays-Bas : « In Portugal, the minimum wage is 480 euros per month, but prices fo food are the same that here ! Sometimes, it’s a kind of struggle for people to get in the end of the month » (Un travail portugais travaillant dans le secteur agricole néerlandais depuis 2011). Ceci a donc tendance à assurer de manière assez certaine « l’approvisionnement » toujours renouvelé en travailleurs migrants, et ne facilite pas la lutte contre les mauvaises pratiques.

Il est possible d’ajouter aux facteurs aggravants la dimension temporaire et de court terme des schémas de migrations dans lesquels s’inscrivent bien souvent les travailleurs migrants, étant donné la dimension saisonnière des travaux agricoles pour lesquels ils sont employés. À cela s’ajoute aussi le fait qu’ils viennent avant tout pour gagner de l’argent et que les procédures visant à poursuivre les employeurs sans scrupules sont longues et coûteuses, et nécessitent des preuves qui sont souvent difficiles à récupérer.

Finalement, l’ensemble de ces éléments pris simultanément font que toute implication des travailleurs dans un processus d’affirmation de leurs droits reste limitées, de même donc que la lutte contre les mauvaises pratiques.

 


[i]Et il ne s’agit là que d’agence de travail appliquant la régulation minimum et opérant dans le secteur agricole :http://www.normeringarbeid.nl/keurmerk/gecertificeerdeondernemingen/gecertificeerde-ondernemingen.aspx

[ii]Le troisième au niveau européen.

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